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4 novembre 2017

Troisième épisode, La victoire de l'éthique protestante en France

Troisième épisode de La victoire de l'éthique protestante en France, roman. Pour les deux précédents épisodes, reportez-vous aux deux billets de blogs antérieurs à celui-ci.

 Premier dialogue

« - Alors, c'est vous, le petit cow boy embarqué dans un roman complotiste...Mais au fait, qu'appelez-vous un roman complotiste ?

Il était assis dans son fauteuil club et moi, en face de lui, essayant de ne pas me ramollir dans le luxe, le calme et la volupté, le café, les pâtisseries moelleuses et citronnées de la petite cuisinière énergique et affable, peut-être une sicilienne avec son teint très mat et le léger charme méditerranéen à la fois austère et vite ranimé par une plaisante remarque ou un rais de lumière, comme autant de rehauts soulevant ses pommettes. Mon hôte, cependant ne comptait pas me noyer d'anecdotes en passant en revue la liste impressionnante des objets foisonnant son salon et formant les grâcieuses preuves de ses chatoyants déplacements au cœur de chaque artisanat indigène de ces belles contrées traversées en charmante compagnie. Un objet retint néanmoins toute mon attention : j'avais en face de moi un magnifique masque du théâtre Nô, en bois laqué, un vieillard au visage émacié aux rides exagérément profondes, les lèvres rentrées, une barbiche de chèvre. Le Diplomate semblait avoir composé son tableau en se mettant légèrement à la gauche du masque, de sorte que j'avais les deux visages en face de moi : le vieillard accablé par le temps, -le masque de vérité- et la patine impeccable du Diplomate, qui tel le portrait de Dorian Gray eût pu sous l'évanouissement du pacte diabolique, révéler son poids de corruption, ses secrets, ses petites et grandes trahisons, tout ce qui pesait sur les lourdes paupières du personnage de théâtre Nô. Je reçus cette vision comme une sorte de mise en garde à être moins dupe du masque que du visage car le masque était sans ambiguité, le trait de personnalité essentielle à ressort unique, ici le vieillard portant sur chaque sillon la douloureuse expérience de la vie ; tandis que le visage du Diplomate me frappait, non pas de sa beauté, mais de son entretien factice, rasé, hâlé, dégageant l'odeur délicate d'une crème après-rasage.

- Vous avez l'air intriguée...Le masque peut-être ? C'est Sankôjô, un vieillard malicieux du théâtre japonais...Il est aussi le fantôme des valeureux guerriers...Un peu comme moi, avec mon métier...je suis en quelque sorte le fantôme de l'Histoire, de sa fabrication déjà fantômatique...Voilà, vous êtes présentés...et donc, c'est quoi un roman complotiste pour vous ?

- C'est rechercher, dans l'histoire des hommes, la convulsion décrite dans l'Apocalypse.

- Vous voulez dire, un combat mystique ? Un combat entre le Christ et l'Antichrist ?

Je ne sais plus si c'est le Diplomate ou le vieillard qui m'envoya alors un regard plein de malicieux scepticisme en levant un seul de ses deux sourcils bien fournis ; je crus, à force de les avoir tous les deux dans ma ligne de mire, les voir un instant se superposer dans une entente narquoise.

- Oui, le récit complotiste pose le postulat d'une présence organisée qui tire les ficelles pour prendre la place de Dieu. Le Juif, au sens large, (incluant le Sioniste, donc), le Franc-Maçon, tous soupçonnés d'être à la fois proches de la connaissance de Dieu et fossoyeurs de son pouvoir au service de de la Bête, ces usurpateurs du Trône, sont les acteurs bien célèbres de ces lamentables et répétitives fictions dont le succès est faramineux, cependant. Le vrai délire complotiste à proprement parler n'est qu'une construction paranoïaque ; s'il rencontre une telle audience, c'est que l'Histoire demeure le dépôt de ce combat mystique et il ne peut en être autrement ; c'est l'inconscient de l'Histoire, la raison même qui la fait exister en tant que « discipline », domaine d'étude et de connaissance, et c'est aussi le non-dit de ce que nous attendons d'elle : qu'elle se révèle enfin dans son début et dans sa fin, dans sa prodigieuse finalité ! Et pour ma part, il n'y a pas meilleur moment dans notre Histoire pour donner raison à l'idée que le Complot a été rondement mené...mais la révélation n'est pas celle attendue ; mon hypothèse complotiste est que Dieu a perdu la partie, ou alors, il s'est rétracté, ou alors, le Millénium est déjà passé, ou alors, et c'est pire que tout, Dieu n'a jamais existé que comme « tension » fictive intégrant sagement celle du Diable. Et le Diable ? Avec la seconde guerre mondiale, il a accompli son chef-d'oeuvre, il repose et fructifie sur ses lauriers sans tapages ni fracas, il installe le Néant un peu partout ; au travail et sa conception managériale, en politique et sa communication creuse, dans les émissions de télé, dans la pollution...Ses faisceaux sont plus nombreux qu'autrefois et ses forces sont plus disséminées, mais harmonieusement implantées. S'il y a eu Apocalypse, c'est celle du Néant.

- Mais c'est monstrueux ce que vous dites, Reine. Vous êtes nihiliste ?

- Pas autant que ce que vous allez me dire et qui corroborera mon analyse, j'en suis certaine. Je ne pense pas que vous m'avez convoquée pour évoquer avec des trémolos dans la voix, les rencontres honnêtes des hommes honnêtes, pour le bien de l'humanité !

- En effet...Voyez-vous, je ne suis cependant pas nihiliste. Beaucoup de pourritures dans ce monde, il est vrai, mais quelques beaux fruits qui suffisent à rattraper le reste.

- Croire que le Diable a gagné, ce n'est pas ne pas croire. Le nihilisme ne croit même pas au Diable. Et je ne pense pas que les Nazis aient perdu, à part militairement bien sûr ; il nous faudra discuter de ce point. Le Diable s'adapte à son temps et il est avant tout une force d'annihilissement. La matière peut être avalée, comme dans les trous noirs, c'est un phénomène physique désormais connu, quoique pas encore intégralement compris : l'univers pencherait-il du côté du nihilisme pour autant ? Sur le plan métaphysique, nous savons aussi que nous allons mourir chacun individuellement. Nous aimerions donc que des millénaires d'histoire humaine nous révèlent ce que nous ne pouvons comprendre à l'échelle d'une vie. Nous commençons à avoir un certain recul de ce point de vue. Et je pense qu'écologiquement, -donc matériellement-, idéologiquement, moralement, intellectuellement, artistiquement, le Néant gagne du terrain ; le monde est presque homogène ou en tout cas s'uniformise à vitesse grand V sans véritable possibilité d'infléchir le mouvement.

Le masque et le Diplomate avaient perdu leur rictus. Le front plissé du Diplomate laissait désormais creuser les rides que le premier abord n'avait que très superficiellement révélées. J'avalai un gâteau au citron en songeant à l'écho de mes derniers mots ; peut-être encore quelques années à s'affaler comme un pacha dans une banquette au cuir molletonné, à se faire servir des douceurs, à discuter tranquillement de l'Apocalypse du Néant en songeant simultanément et mélancoliquement, une fugace seconde, que l'échec annoncé de mon mariage allait en constituer une preuve supplémentaire, que la vie elle-même était conspiration contre la possibilité de l'amour, que tout était sursis depuis notre premier cri à l'air libre jusqu'à notre dernier soupir, que le gâteau au citron était un sursis, que la discussion dont le fond aurait dû me faire hurler, était un sursis, que le Diplomate gagnait en ma compagnie du sursis, tout comme moi, tout comme nous tous, dans l'agitation de cette ville ou dans la tranquillité de ma province, l'ici et l'ailleurs recouverts à l'identique par un silence de plus en plus épais sur nos cris dans la lumière d'un soir commençant.

- Je crois, hélas, que je ne vais pouvoir vous contredire, vu ce que je vais vous raconter. Mais, l'espoir, Reine, les rêves de quelques hommes, malgré tout ? Les guerres, les révoltes, les prises de conscience...L'Histoire continue ; peut-être que mon témoignage contribuera à nourrir, en plus de votre roman, l'impérative nécessité de réagir, peut-être que des hommes déjà s'organisent à l'abri des regards et adoptent une tout autre existence que celle du cadre dominant ? Comment pouvons-nous mesurer les conséquences de nos actes et de nos pensées ? Si je n'en avais pas l'infime espoir, vous ne seriez pas là ; je n'aurais pas, comment dire, pris le soin de planter une aiguille dans votre orgueil...

- Je vous en remercie ! Vous avez bien fait de me piquer un peu. Et je ne cesse de m'opposer à mon analyse dans mes faits et gestes quotidiens. Mais la parole n'a pas la valeur aujourd'hui d'un acte révolutionnaire ! Nous ne sommes plus au temps des Lumières où un pamphlet circulant sous le manteau préparait la geste de 89 !Parfois, je me demande si je ne ferais pas mieux de planter des arbres, de traquer le gibier et de recueillir mon eau dans des bacs, mon fusil à l'épaule ! (Comme il est drôle qu'à cet instant, loin de Luc et de ses récriminations, j'essayais dérisoirement de lui donner raison, comme il était simple, ici, dans la lumière terne d'un appartement parisien, de me défaire d'un conflit larvé depuis des mois alors qu'à ses côtés, je ne sentais plus que la facticité d'un nouveau discours sur la nature opposée à la culture ; le temps et l'espace pouvaient en instant tout séparer et tout réunir.)

- ...Tant que l'histoire des hommes est menée par le conflit, nous pouvons aspirer, dans nos révoltes, au règne d'une Justice absolue ; puis quand tout s'apaise, et qu'enfin les grandes injustices semblent plus loin qu'elles ne l'ont jamais été, le sens de l'absolu maintenu par la révolte, retombe en pluie de cendres. D'infinies scories jonchent les abords du volcan que nous ramassons, pour les plus pieux d'entre nous, comme les multitudes témoignages relatifs de la calamité « génétique » absolue. Quête fort dérisoire et terriblement laborieuse qui exigerait de chacun d'entre nous une humilité encore plus grande que celle de l'homme en guerre ; car la guerre est révélation par excellence. Mais nous sommes dans une étape, du moins en Occident, où le combat s'est déplacé, rétracté plus précisément, dans la conscience de l'individu. Et que découvre-t-il alors cet individu ? 

- Oui, je vois où vous voulez en venir...Il lui faudrait vivre comme un glorieux mystique : ensemencer la terre pour se nourrir lui et les siens, vivre chichement et partager le peu qu'il a, sanctifier chaque jour de sa vie, adorer Dieu sans le voir (je veux dire, sans la preuve), expier chaque jour et ne souhaiter rien d'autre que l'événement de sa vie et sa transmission...N'accepter de révélation que le miracle renouvelé de la vie-même ! Votre hypothèse du complot comme un combat mystique s'affine... Nous en parlerons, nous y viendrons...Mais, je vois aussi poindre la conclusion : nous ne sommes pas des saints. L'absolu n'est tout simplement pas à la portée des hommes. N'est-ce pas le sens de la parabole du Grand Inquisiteur ?

- Oui, mais au-delà des inévitables compromissions politiques qu'on peut entrevoir derrière l'impasse que souligne la parabole, on comprend aussi que le destin de l'humanité ne peut être que foncièrement médiocre. Le Diable, c'est à dire la nécessaire négociation avec la condition terrestre, n'est rien d'autre que la parodie de Dieu et plus l'histoire avance, plus le Diable est parodie de parodie, mimétisme inversé de moins en moins cruel de la face impitoyable de la justice divine mais de plus en plus « résultat » admis dans l'esprit de l'homme et de la face immergée de son essence : le néant.

- Et la guerre, n'était-elle pas le néant à l'état brut ?

- Bien-sûr ! Et elle aussi s'est révélée à nous durant la seconde guerre mondiale comme étant essentiellement anéantissement, c'est à dire, tendant vers le résultat de la disparition morale et physique de l'homme. Elle a pu éblouir les hommes, consacrer leur vie par l'héroïsme, les détourner de leur médiocrité foncière, mais l'illusion est définitivement tombée. Les hommes se sont désenchantés de la guerre ; ils y ont vu la nudité de leur destin, senti l'odeur infecte de leur carcasse à peine décharnée et l'absurdité de leur condition bien plus réelle que leur héroïsme.

- Mais alors, quand l'homme n'est-il pas médiocre ?

- Dans deux circonstances bien particulières : quand il doit survivre et non pas vivre (vivre n'étant qu'un montage idéologique où l'homme se perd avec un terrible objectif de bonheur) ou bien, quand dans un contexte confortable que lui apporte une société bien organisée, il a digéré une immense culture pétrie de sagesse, pour penser et agir dans le respect des hommes qui l'ont précédé. Mais un monde qui recherche le présent, essentiellement, peut-il ériger ce genre d'homme ?

- Bien, donc, vous voyez que la civilisation civilise encore quelques hommes...je crois que c'est à moi maintenant de nous amener vers les faits...Commençons par « le sommet », dernier acte de ma carrière, il y a désormais 10 ans..."

Je pris mon stylo, mon carnet ; j'allais enfin être propulsée ailleurs que dans le confortable giron de ma déflagration personnelle.

 Second dialogue :

"- Un sommet...C'est ainsi que l'on nomma l'assemblée d'élites de la nation, entendons par là, PDG des plus grandes entreprises, banquiers, hommes d'affaires influents oeuvrant dans les assurances, l'énergie et les nouvelles technologies, ainsi que les directeurs des grandes écoles, ENA, HEC, Sciences Po, des parlementaires progressistes de l'Union européenne, quelques représentants de fonds de pensions américains et pour finir, des Qatari opulents bien intentionnés quant au retour sur investissement de leur argent.

Je prenais note de tout mais je craignis un instant que ma liste n'ait pas la qualité de l'exhaustivité. Mon interlocuteur me promit que j'en savais déjà assez et que c'eût été impudent tout autant qu'imprudent de lui en demander davantage. À quoi, je lui objectai deux choses : l'une qu'on saurait bien un jour d'une façon ou d'une autre et qu'après tout, il ne restait de vernis à ce gratin plus international que national, que le brillant moins élitaire que puissant, puissance peut-être supérieure à celle du Président des Etats-Unis lui-même, et pourtant consacrée en son absence.

Pour toute réaction, il me gratifia d'un sourire, très sultanesque : le métier de diplomate ressortit dans toute sa superbe par le geste qui accompagna cette souveraine mimique. Tel un chat angora qui ondule placidement sa queue au passage d'une mouche, il dodelina de son bras jusqu'au pocheton de sa veste, tâtant de sa main de velours les textures des tissus. Et négligeamment, redressa son torse, le pencha en avant pour théâtraliser le moment où il prendrait la parole de par son seul bon vouloir, sans même avoir à répondre s'il ne jugeait pas cette attitude opportune. C'était fascinant à tout point de vue.

- Je ne dirai qu'une chose : je vous donne raison sur le premier point de votre seconde objection. L'élite n'est plus l'élite. De même que tout ce que nous appelons d'un nom ancien qui avait une signification bien précise n'a plus lieu d'être. N'a plus de lieu pour être, si j'ose dire. Partout désormais vous retrouverez la même canaille qui vous scrute avec des yeux arrogants et n'hésite pas à vous demander : « Combien coûteriez-vous si vous vous donniez un prix ? ». Ces infects bagouseux du Qatar, ce Nouveau monde aux allures de nos pires banlieues dont la différence réside cependant dans le clinquant et la chèreté des matériaux, ces abominables profiteurs américains et leurs fonds de pension : des incultes ! Et nos grandes écoles, que croyez-vous, hein ? Des achetés, des collaborateurs en puissance...qui prodiguent la morale de pacotille « sociétale » importée de l'Ancien Nouveau monde, la violence économique compensée par la montée des droits, des recours en justice censés contenir la casse. La politique n'existe pas, les « élites » n'ont pas le sens politique, ne pensent pas la justice, la prospérité, et la valeur de l'homme dans un tout indivis ; non, ils apprennent d'abord le droit, des kilomètres de textes juridiques, ils apprennent à ne pas se faire pincer face à la dissolution de la société qu'ils ont voulue, et programmée, ou à laquelle ils ont lâchement consentie, ils ne veulent plus la société mais la sociétalité : un homme pansu du droit d'être le plus stupide possible, un homme dont le seul horizon doit être « un moi » avec des besoins qui passent « en droit », un puits d'ignorance réduit au cri primal « je veux, j'ai le droit ! ». Et l'élite politique donnera un « cadre juridique » au vouloir tout puissant, au caprice de l'enfant-roi pendant qu'elle anéantira en lui l'aspiration de changements plus profonds. Les élites ont décidé d'abolir toutes les aspirations révolutionnaires de la France, seul pays au monde qui peut incarner encore un danger pour l'unique idéologie en cours, celle-là même qui a produit des intérêts faramineux plus qu'aucune autre dans le monde, comme vous le disiez dans votre statut facebook ! Voilà pourquoi vous avez raison, absolument raison de sous-entendre que l'élite n'a aucune connotation d'aristocratie, mais elle-même moyen et fin de l'utilitaire du monde utilitaire. Dans un sens, très chère, si vous êtes là, vous, écrivain sans renom, vêtue avec banalité -ne vous vexez point, j'ai été, dans ma carrière de diplomate amené à rencontrer des femmes parées par les grands bijoutiers et couturiers et si vous vous étiez présentée habillée de la sorte à l'une de nos réceptions, il est certain que vous auriez été refoulée à l'entrée-, âme solitaire sans concession, provinciale en tout point, échappant ainsi à quelques vanités de l'homo parisianus, homme dé-paysé par excellence, prêt donc à embrasser la vision proprette de l'homme qui ne se salit pas les mains, je vous ai donc, vous qui avez l'air d'en être la première surprise, élue pour coucher sur papier la seule confession diplomatique de ma carrière qui vaille avant que de rendre mon tablier...Voyez-vous, je viens d'une autre époque, d'un temps où le mot « civilisation » projetait en nous des élans lyriques, des phrases ampoulées de merveilles, des libertés toujours plus libres, des conquêtes glorieuses contre le mal. Les marchands nous tenaient en estime ne serait-ce que pour la bonne et simple raison que la pensée pouvait agir sur le monde : nous aurions pu choisir le camp communiste, briser les convoitises d'un coup de décision fatale, prôner le partage intégral et nationaliser tous les moyens de production, anéantir la création individuelle mais non, nous voulions le monde libre et prospère, l'élite comme pouvoir des meilleurs, le peuple émancipé, éduqué. Désormais, ce que nous appelons l'élite n'a que faire de fournir l'instruction au peuple. Il lui importe d'abord d'écouler son stock de produits. Les canailles nous ont remplacés, et comme j'ai ma part de responsabilité dans cette sinistre évolution, je passe à confession, avec vous, ma chère !»

Superbe d'éloquence dans son élégant costume, il maîtrisait le débit de la parole, le mouvement du corps, l'intonation, l'incise, le constat et les conclusions. Des rides de vieillesse et de réflexion inquiétaient son regard, orientant son propos vers l'esprit de sérieux que les premiers instants de notre rencontre ne laissaient pas présager. Il me faisait penser à Paul Morand bien qu'il ne lui ressemblât pas, son visage étant en tout point bien plus anguleux que celui de l'écrivain-diplomate. Une arête de nez comme une ligne de crête franche creusant les yeux comme des cratères et la faille fine de ses lèvres barrant la saillance audacieuse du nez en plein tranchant. La diplomatie avait, comme tout, changé d'époque, mais dans ce visage incisif, on pouvait encore lire une permanence des choses, du moins telles qu'on les devine à travers des nuées de secret venues tailler l'homme dans sa fonction : j'avais devant moi un diplomate et bien plus, Le Diplomate de toujours dans la joaillerie de son verbe et la franchise de ses révélations vous prenant par surprise au détour de ses postures insinuantes, comme un serpent s'immobilisant subitement devant sa proie. C'est ainsi que son nez semblait mettre en demeure sa bouche de fuir ou de parler. 

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