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28 décembre 2013

Reprise de mon journal. Samedi 28 décembre. Ce

Reprise de mon journal.

Samedi 28 décembre.

Ce doit être une vieille idée désormais. Dépassée, peut-être : le monde d'hier, en somme. Apparemment, la langue française comme terrain de conquête de sa propre émancipation, s'étiole en tous sens, en qualité, en usage correct, en idée même de ce que la langue porte avec elle d'histoire, de civilisation. Le français s'apprête à la mode managériale ou au baragouin grossier des banlieues, révèle toutes les carences d'une société qui n'a pas su hisser le niveau des plus faibles à hauteur de république exigeante. L'avachissement est d'autant plus spectaculaire qu'il semble irréversible. Depuis trente ans, on ne cesse de "réformer" le système éducatif : méthode de lecture globale, réduction du temps d'apprentissage de la lecture en primaire, tentatives pour faire passer la question de l'orthographe pour secondaire...Maintenant, quand on me dit "réforme", je change de trottoir. Un haut-le coeur me saisit aussitôt ; pourtant, je devrais rire de l'antiphrase si pernicieusement employée... Depuis trente ans, on ne cesse de populariser la culture, la culture elle-même a essayé d'oeuvrer en ce sens en faisant passer des boîtes de soupe pour d'authentiques oeuvres d'art, ou alors de proposer aux plus jeunes une littérature de bas étage retardant ainsi le contact aux grandes oeuvres.

J'ai connu un professeur qui, lassé de faire bailler d'ennui ses élèves avec Balzac, leur avait proposé la lecture d'un roman d'Amélie Nothomb, puis dans la foulée, un roman de Beigbeder. Ils finirent par bailler quand même. Le diagnostic était mauvais : en croyant abaisser le niveau, le professeur s'imaginait intéresser les élèves. C'était faux, heureusement faux (la merde n'est pas aussi appréciée qu'on l'imagine) ; tragiquement faux : rien ne parvenait plus à les intéresser. Anéantis, plus morts que vivants. La jeunesse a sombré dans un coma avancé : leurs parents s'occupent à divorcer, à boucler les fins de mois, à s'accrocher à des boulots qui leur prennent toute leur vie ; leurs professeurs de s'appliquer à des programmes absurdes ; les écrans de les gaver quotidiennement de conneries jusqu'à les transformer en sacs poubelles ambulants. Et puis, maintenus ridiculement à l'école où ils décrocheront à plus de 80% leur bac (quitte à ce que le ministère modifie quelques notes à la hausse pour parvenir à cet ébouriffant résultat), ils finiront par s'échouer dans quelque pauvre université où, après deux ans passés sur un banc (un escalier) d'amphithéâtre bondé, ils pourront fièrement prétendre à la glorieuse inscription à notre cher Pôle Emploi national, puisque nous savons qu'être "jeune" dans ce pays, est un mauvais moment à passer.

Alors ? La langue ? La langue pâtit du nivellement général. J'en viens même à me demander si cette dégradation n'a pas été politiquement programmée. Observons à quel point tout homme "parle son milieu" à travers les échanges sur le net, les conversations courantes : les sociolectes fonctionnent à plein régime. La classe sociale, l'origine, le niveau d'étude transpirent dans la langue, de plus en plus. Telle faute d'orthographe m'en dit plus long que des arguments ; je peux -hélas-les anticiper bien souvent en fonction de l'état de la langue de mon interlocuteur. Voilà comment le mésapprentissage fait bruire ses effets, jusque dans la relation la plus élémentaire avec autrui.

Je me souviens d'un auteur algérien (peut-être Rachid Boudjedra) écrivant une langue française magnifique (la lecture de la Répudiation m'avait fait forte impression) qui avait dit quelque chose de très juste que je restituerai en substance : "Ecrire en français est ma vengeance." Vengeance contre la colonisation, vengeance par l'excellence, la beauté, le surpassement. Vengeance par le don ! Vengez-vous, vengez-vous donc. De ces vengeances-là, j'en mangerais tous les jours.

J'ai envie (on ne sait jamais ; peut-être me lit-on un peu) de reprendre cette pensée à mon compte, à notre compte, d'en appeler à cette révolte contre le déterminisme ethnique, social par l'émulation de la langue, ce frottement entre l'Histoire et un individu qui élève, qui donne plutôt qu'il demande, qui se sert pour servir, qui révèle à cet "autre" le trésor qu'il ne savait plus regarder, comme Boudjedra et bien d'autres le firent. Conquérir la langue, c'est s'émanciper : nul doute.

C'est à la portée de presque tous : la République a du bon pour ça. Des bibliothèques partout, du gratuit dans le virtuel, les études aussi ne coûtent pas cher...: on a quand même envie de le rappeler et de rabattre leur caquet à ceux qui passent leur temps à geindre du "pas assez"...Qu'on voyage un peu, et l'on s'apercevra qu'il y a quelque avantage à vivre sous nos latitudes.

Mais, l'incurie du politique devient criminelle. Nous vivons sur des acquis, qui, il faut bien l'observer, s'enfoncent dans le sol friable de la république usée.

A quand un rapport digne de ce nom va permettre de pointer les failles d'une éducation défaillante, tenue par des "cerveaux technico-pédagogiques" lesquels ont programmé la chute du niveau de la langue, la baisse de l'autorité des professeurs, ces 80% de classe d'âge au bac...? Quand ces gens-là vont-ils rendre des comptes ? Existe-t-il une intention politique de faire autrement que de taper sur les professeurs d'un côté, les enfants d'immigrés de l'autre ? Pourquoi faut-il toujours dans des rapports officiels, pointer des questions superflues (la mère qui accompagne les enfants en sortie scolaire peut-elle avoir un foulard sur la tête ? Et encore, l'état n'a même pas su apporter de réponse nette, laquelle réponse sera à discrétion de l'Education nationale ! C'est dire l'impuissance du plus haut sommet de la république !) quand le nécessaire vient à manquer ? (le nécessaire étant : comment apprendre correctement aux enfants la langue : pédagogiquement, économiquement...?).

Lisons pour mémoire les "Paroles de Poilus" : certains, parmi ces hommes, étaient postiers, ouvriers...Tous écrivaient une langue du meilleur français. Je songe à quelques uns de mes ancêtres : là, une simple couturière de Tlemcen ayant appris la lecture dans quelque école communale ; la voici vieille dévorant Anna Karénine.   

Ce ne sont pas des préconisations imbéciles de rapports imbéciles qui feront retrouver le goût de la France aux français, d'où qu'ils viennent. Mais bel et bien une instruction digne de ce nom. 

On n'oblige pas les gens à vivre ensemble : ils le font s'ils ont des choses à partager, d'égal à égal. 

Pourquoi l'exigence républicaine fait-elle si peur ? Pourquoi passe-t-on notre temps à mettre des rustines sur "l'intégration" (en collant par exemple un matricule à des flics pour que ceux-ci ne fassent pas de discrimination, au lieu de renforcer la lutte contre l'impunité, les peines non exécutées...) et, que sais-je encore...?

Je m'interroge. Je me demande si ça n'arrange pas quelques uns que la société française se porte si mal. Et le retour de boomerang risque d'être violent, hélas, et au détriment de tous.

 

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