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3 janvier 2014

Une chronique provençale.

Jeudi 3 janvier 2014

Faut que je vous raconte : voici ce que j'ai vu et entendu. Cette histoire pourrait même constituer une fable. Ca se fera en deux parties : en un seul morceau, la moitié abandonnerait à mi-lecture peut-être... alors que le meilleur se trouve en seconde partie.

Quiconque fréquente un peu régulièrement ce blog, saura mon goût pour les déambulations solitaires, qu'elles me mènent aux sommets des collines de Provence, dans les abysses de mes sombres pensées, dans les méandres de quelque invention baroque d'un récit longtemps fermenté ou improvisé. C'est de la liberté en tout cas.

Mais voici que les déambulations nous tiennent par la main aussi. Elles veulent nous amener à voir, à entendre pour dire, pour écrire ; je ne sais plus très bien identifier ce qui est « initié » par moi ou dicté par une volonté inconsciente, diffuse, de « trouver » en marchant ; les deux sans doute. A ces raisons encore tangibles, il faut en additionner une. Celle-là, on ne peut la nommer ; si on étiquetait le mystère, il n'y aurait plus rien à chercher, juste des preuves à rassembler pour prouver qu'on l'a bien nommé et donc bien « caractérisé ». Ce serait une façon de ramener le mystère à la raison, d'en faire une raison plus totalitaire que les autres, puisque Raison de tous les mystères. Demeurons humble : nous nous cantonnerons à rapporter ce que nous avons vu, entendu, lors de cette énième errance dans ce village, sans plus de motivation que de traduire fidèlement les néanmoins étranges paroles que cette sorte d'assemblée d'hommes de tous âges faisaient circuler entre eux.

Je me promenais donc, assez fidèle à mes habitudes, dans ce vieux village perché sur un promontoire et en cela, idéalement placé pour laisser au rêveur tout loisir de s'absorber dans une méditation poétique : un panorama dégagé à 360 degrés faisant poindre la Sainte Victoire à gauche, Le Mont Ventoux au Nord-Ouest, la Montagne de Lure plein Nord, l'entrée des Gorges du Verdon à l'Est. Une possibilité extraordinaire de prendre la démesure du Temps géologique, d'exalter les forces telluriques qui, dans la symbiose de l'âme et du paysage, passent de l'une à l'autre indistinctement, jusqu'à l'impression mystique -j'allais dire chamanique- que le corps se fait nuage. Quelques minutes quotidiennes de cette sorte de contemplation peuvent amener à ce sentiment « indivis » d'un tout, de se fondre avec un tout.

Avant de parvenir à l'extrêmité du promontoire, il faudra traverser une ruelle centrale, la rue « Grande », où se répartissent de chaque côté, un café, le café, la petite école maternelle, la boutique d'accessoire de pêche et de chasse, la coiffeuse et quelques autres petits commerces ; une place unique avec fontaine au fond de laquelle un petit bâtiment de style « ancien hôtel particulier  » et non loin une église, rappellent les deux fondements anthropologiques de ce lieu comme de tout lieu en France : la République et l'Eglise. Néanmoins, il est un endroit où les hommes se retrouvent sans incitation : le café. Et une activité qui ne souffre aucune désaffection : la chasse. Ce qui me laisse penser que les sociétés n'ont cessé d'être primitives, dans le fond. Chasser l'animal et rechercher l'ivresse ; entre la Préhistoire et le culte de Dionysos, nous voici en Provence. Pas n'importe quelle provence : la sauvage, la reculée, la renfrognée, la Provence de Giono.

Outre ces réflexions, je fus arrêtée par une animation inhabituelle en ce jour de semaine, en plein mois de janvier, aux abords de l'Hôtel de ville. Un jeudi après-midi pour être exacte. Les portes de la salle municipale laissées grande ouvertes permettaient au curieux (à la curieuse, en l'occurrence) de se faire une idée de ce qui se passait à l'intérieur. Des hommes, peut-être vingt, mais en se rapprochant on pouvait facilement en compter trente, s'échauffaient, se coupaient la parole, se levaient de leur chaise, se rasseyaient. « Tiens, me suis-je dit, j'ignorais que des conseils municipaux pouvaient se tenir à l'impromptu ». Discrètement, je me rapprochai ; je ne voyais nulle femme parmi ces hommes en colère ; et je me fis la réflexion qu'aucun n'était à son travail ; là-dessus, réajustai-je aussitôt, il est vrai que parmi ces hommes, aucun n'a plus de travail, qu'il soit retraité, chômeur, au noir...aucun officiellement, du moins. D'évidence, ma présence aurait immédiatement modifié le ton, l'attention, voire interrompu cette effervescence et dans ce village,  on me regarde avec une bienveillance "distante", en particulier si je viens boire un petit café alors que ces hommes pronostiquent des victoires aux courses de chevaux ; là, on me fait légèrement sentir que je serais mieux ailleurs...Une femme...quelle drôle d'idée...j'en viens moi-même à le penser. Mais les habitudes sont tenaces : je n'aime rien tant que boire un café en lisant mon journal.

Je décidai de me caler derrière le battant de la grande porte, mal refermée : l'angle me permettait de voir un peu par l'embrasure de la porte, d'entendre sans être vue.

Un homme visiblement secoué, monopolisait la parole d'une voix de baryton que l'accent provençal semblait intensifier :

« C'est une déclaration de guerre !  Je vous le dis !...On ne retrouve pas quinze sangliers abattus le même jour par la simple opération du Saint-Esprit ! Comme par hasard, ça tombe après l'arrêté d'expulsion ! Ce genre de hasard, je n'y crois pas !

Un autre, emporté, mais avec une voix plus douce, plus tempérée demanda à parler :

- S'il s'avère que c'est eux, j'irais moi-même les foutre dehors ! Mais je sais aussi qu'une maladie touche les bêtes en ce moment...

- Une maladie ! Depuis quand les maladies, elles ont la forme d'une balle qui troue le derrière ! dit un autre avec une faconde remarquée de tous les villageois emportés par un rire collectif.

-  C'est de l'empoisonnement, c'est évident. Tu sais, avec les sectes qu'il y a dans le coin...ça fait longtemps qu'on aurait dû faire le ménage ; je reconnus là la voix de l'homme qui passait en tracteur tous les jours devant chez moi, et qui me saluait poliment.

-Messieurs, calmez-vous !

Dans l'embrasure, je pus reconnaître le Maire. Sur l'estrade, avec sa bedaine barrée du ruban tricolore en bandoulière. L'accent marseillais à couper au couteau. Dans la région, tous les maires ont les mêmes têtes de filou, de pétanquistes, de paysans parvenus. Pour cette remarque, je risque de me faire cracher dessus jusqu'à la fin de mes jours ; mais, c'est la vérité pourtant. Les paysans vendent leurs terres, font des affaires, se lancent dans l'immobilier et briguent les mairies. Après, ils roulent en 4x4 dans les rues du village, prennent l'air stupide et important, fricotent avec les figures locales, donnent des locaux aux clubs de chasse pêche boulistes, organisent des lotos, boivent le pastis le dimanche avec les administrés et pontifient. L'état est responsable de tout. Y compris de leurs impérities.

- Les gitans qui vivent là sont hors de cause. Ils résident depuis des années parmi nous sans que rien n'ait pu leur être reproché ; je préviens qu'une expédition punitive pourrait avoir de lourdes conséquences...

- Et leurs trafics ? Interrompit le premier à puissante voix...Quand est-ce que les conséquences seront lourdes pour eux ?"

Il ne fallait pas être devin pour comprendre le trouble de ces messieurs : des sangliers retrouvés morts, une partie de chasse gâchée, et une énigme propre à azimuter un village. Des coupables, forcément, on en trouverait. Le reste à venir, comme je vous l'ai dit, est le plus important. Je reprendrai la suite dans quelques jours.  

 

 

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