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24 décembre 2013

De la méchanceté pour Noël : Reine Bale est une ordure.

La dernière fois, j'ai exprimé mon exaspération concernant une certaine littérature produite à cadence industrielle, une littérature en masse pour la masse, fabriquée selon des principes élémentaires ; en cadeau de Noël, j'offre un extrait de mon roman, L'anéantissement dont l'incipit, précisément renvoie à ce vide, ce néant, ce trou noir qui engloutit l'imaginaire...Et comme Noël correspond à un accouchement du Monde, on espère bien que cet extrait fera son office pour contribuer à nommer ce qui me semble de plus en plus évident : la limite de la "démocratisation" de la littérature à moins qu'on ne considère plus qu'elle ne soit comme le reste, qu'elle ne soit jamais rien de plus qu'un "process" comme parmi tous ceux qui touchent tous les domaines...

- Chapitre I -

L’Éditeur dans son rôle, le stagiaire débordant du sien et une femme qui déclenche tout.

 

D’humeur massacrante. Il était d’humeur à massacrer le premier mauvais livre qui lui tomberait entre les mains. Juste pour se libérer. Pour évacuer la bile noire d’un mauvais réveil. Il avait dû s’extraire d’un lit chaud et gagner les rues glaciales d’un Paris qui semblait aussi renfrogné que lui. C’était sa méthode très personnelle pour faire passer le froid, et qui plus est, l’argument de sa présence en ces lieux, dans cette maison d’édition. Avant de s’y mettre, il déclina son identité à l’adresse des manuscrits à « traiter » pour cette seule journée de travail : « Stéphane : lecteur-stagiaire à Mourir de Lire éditions, pour vous servir ». Les présentations étaient faites, le rituel quotidien accompli. Le geste impérial, il saisit le premier manuscrit du tas, et sans même lire le titre, ouvrit la première page. Les premières lignes : se fier d’abord aux phrases inaugurales, celles qui donnent le « la ». Ratées, elles sont difficiles à rattraper. Voici donc : « Quand je l’ai rencontré, il pleuvait des cordes ». Mal parti. Très mal parti. Première phrase, premier ennui : déjà lu des milliers de fois. La météo, la rencontre : soit le « soleil est radieux », soit « il pleut des cordes ». Placée sous le soleil, la rencontre remplira sa promesse ; avec la pluie, on devine une passion impossible. Cousu de fil blanc, pas la peine d’aller plus loin. Il ferma le manuscrit d’un geste sec et observa les références de la page de garde. L’écrivain : une femme, une certaine Claire Z. Pas étonnant. Les romans d’amour sont écrits par des femmes pour des femmes depuis que le roman existe. Le titre : Orage d’amour. C’est tellement grotesque que j’ai du mal à y croire ! Comme quoi deux lignes de lecture suffisent parfois à se faire une idée exacte ! Une ménagère qui s’ennuie, qui attend la passion, je parie. Un peu comme Meryl Streep dans la « Route de Madison ». Elle s’imagine l’amour fou dans sa baignoire avec un superbe inconnu qui passait par là. Ils vont s’aimer, se déchirer, se rabibocher…suivant les fluctuations hydrométriques. De quoi me rendre misogyne pour les dix ans à venir !

Stéphane écarta le manuscrit avec un mauvais sourire, le plaça sur le monticule déjà bien fourni des romans refusés. De toute façon, les consignes étaient strictes : sur cent manuscrits reçus, seuls dix seraient vraiment lus par le comité de lecture et sur les dix heureux élus, peut-être un, un seul et unique finalement retenu pour le grand soir éditorial. Il ne fallait présenter que les meilleurs pour éviter à tout le monde de grosses pertes de temps. Alors, ces bonnes vieilles terrines de sentiment, ces orages d’amour, ces ruptures en plein soleil, ces brouillards d’ennui…

Une gorgée de café plus tard, il s’attaqua à Panique en Antarctique, un polar. Un énième polar. Une lettre accompagnait le manuscrit contenant un court résumé du livre, un peu comme une quatrième de couverture « Dans les conditions extrêmes du pôle, une haletante course-poursuite entre un flic et un tueur. Des paysages impitoyables, une psychologie au fil du rasoir. Rasoir ici est à prendre au pied de la lettre : c’est l’arme du tueur. » Encore un écrivain du dimanche gavé de séries télé, pensa-t-il presque désabusé. « Peut-être avec une vague réminiscence de Frankenstein au moment de la course poursuite sur la banquise…ouais ». « Rasoir » : je n’en doute pas une seconde. A prendre au pied de la lettre !

 

Ce boulot le rendait cynique, il le savait. Il devenait tranchant, impitoyable sans véritable raison ; il obéissait à la pulsion du défouloir. Il s’en prenait à des « écrivants » faute d’attaquer de front les vrais problèmes de sa vie. D’autres beuglaient au volant de leur voiture sur le chemin du travail, insultant à qui mieux mieux l’automobiliste coupable de les ralentir ; ceux-là arrivaient au bureau, purgés d’insultes, dans leur costume irréprochable. D’autres encore s’adonnaient à de longs et éreintants joggings ; lui, il tirait à bout touchant sur les lieux communs, les facilités de style, les « écrits-vains », comme il les appelait. Mais n’étant pas d’un naturel méchant, il s’était inventé un antidote contre son propre arbitraire : il s’obligeait à théoriser ses réticences, à étayer ses refus sur des fiches de comptes rendus très détaillées. Ses garde-fous. C’était une obligation de service que personne néanmoins ne prenait le temps de vérifier. Pour Panique en Antarctique, voici comment il disserta :

« De la clarification théorique sur l’inflation du roman policier :

J’adresse ce mot à tous. A la planète « Occident ». Vos films policiers, vos romans policiers, vos délires policiers, je n’en peux plus ! Mon bureau, mon minuscule bureau est l’endroit le plus densément peuplé de criminels sur terre ! Cette peur partout, ces psychopathes en puissance, ces détraqués : est-ce donc réellement le suc sécrété par notre monde ? Une calamité nous attend ici…et là aussi ! La vie est un crime ! Du crime, du crime ! Mieux que l’ennui, mieux que nos vies étriquées : une bonne peur collée au ventre. Les héros ? Ils se ressemblent tous ; le conformisme a gagné l’imaginaire. Tueur en série, enquêteur en série, romans en série. Pas besoin de lire Panique en Antarctique pour le savoir ! Des inspecteurs, pas de vulgaires inspecteurs : des âmes perdues mais sauvées ! Des alcooliques géniaux ! Des êtres torturés, passionnés par la vérité. On ne se foule pas chez les romanciers. Chaque homme serait hanté par le désir essentiel de dépecer son voisin, de cuire ses entrailles dans une huile bouillante, de déguster sa cervelle comme un mets de choix et de se réserver ses organes génitaux pour assouvir quelque perversion aussi immonde que raffinée. Le criminel : un génie au service de l’Enfer. Corps triturés façon « pièces de boucherie », mais disposés selon une logique implacable d’après de vieux rites oubliés. La mystique fait son grand retour dans les oripeaux des pauvres victimes, la mystique habite au 21. Reste à parier que l’assassin, ethnologue ou théologien (j’en donnerai ma main à couper pour ce qui est de Panique en Antarctique) envoie, du ciel de son esprit malade, les signes de la Fin des Temps sur le corps de chaque massacré. Mais la police scientifique arrive : science contre mystique, la science mise à mal un instant, triomphe toujours….Le policier islandais vogue magnifiquement sur les congères de barbarie. (Panique en Antarctique offrirait-il une passionnante variante en se plaçant au Pôle Sud plutôt qu’au Pôle Nord ?) La glace recèle en plus des phoques, des corps parfaitement conservés ! Qu’adviendra-t-il quand le réchauffement climatique fera fondre les banquises ? A la place d’icebergs, des milliers de corps flottants au milieu des ours pleurant les glaces perdues ! Non, non et non ! Je ne m’y retrouve pas. Je ne nie pas l’existence du monstrueux, mais son visage est infiniment plus banal, c’est bien connu. Quand je regarde le monde depuis le trou de mes orbites, je ne vois rien de si « visuellement » horrible. La souffrance, sans doute est moins spectaculaire : il y a un cri, mais il est la plupart du temps étouffé au fond de chacun d’entre nous. »  

 

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