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7 septembre 2012

Théorie du roman

Si les deux semaines passées ont été l'occasion de penser le blog comme un outil de diffusion et de partage gratuit et, par là même, de pointer les limites de cette conception, il faudrait aujourd'hui ramener cette réflexion d'ensemble au rôle même qui se voit attribué à la littérature, au sens qui lui est prêté pour que l'exhibition bloguesque ne se mêle pas à la vulgarité voyeuriste ou à l'insignifiance anecdotique des "bidouilleurs du moi-je" dont le mot d'ordre est "même pisser est un acte fondateur du moment qu'il est vu et commenté". 

Donc le blog, dans le meilleur des cas, constitue un espace d'anti-formatage efficace et parfois étonnamment plus audacieux, plus excitant que ce qui est donné à lire dans les zones de régulation intellectuelle. La raison en est simple : ici, l'auteur ne s'encombre d'aucun intermédiaire entre lui et le public. L'ennui (ce qui a déjà été expliqué les deux semaines précédentes), c'est qu'il doit composer avec la réalité tenace de ne pas disposer de grands moyens pour être un peu entendu. D'autant moins si le contenu est assez exigeant et qu'il ne se conforme à aucun dispositif de groupe idéologique ou de réseau drainant des "followers", des moutons bêlant à l'unisson leur uniformité de vue. 

Voici pourquoi une certaine solitude s'impose dans mon cas : 

-D'abord parce que je ne défends aucune théorie comme quoi la littérature dresserait la forteresse de la civilisation occidentale contre les assauts des indigents culturels qui l'assaillent. En gros, "la nouvelle réaction", sorte de groupe idéologique dans lequel on retrouve des noms à particule (peut-être des nostalgiques de la contre-révolution), des religieux messianiques qui pensent la littérature comme la réactivation de la Révélation avec une mission sacrée, des folkloristes (l'essence de la culture française se logerait dans le terroir et ses "collines inspirées"), les thuriféraires de quelques collaborateurs que la critique actuelle ne saurait considérer à sa juste valeur (il suffit de songer au très mauvais Feu follet de Drieu, au mal-être de fils à papa de son personnage principal, et à au délire antisémite de Brasillach de "Je suis partout", pour se persuader qu'il y a des périodes plus glorieuses pour la littérature française ! Et quant aux très grotesques pamphlets de Céline, il faut vraiment les aborder dans un registre comique, décalé, et prêter à son auteur l'intelligence d'avoir pu caricaturé sa propre caricature pour les porter à la connaissance du lecteur sans le faire bondir d'une juste consternation)...Voilà où une tendance de la littérature nous mène ; et bien-sûr, ces auteurs savent désormais s'appuyer sur le constat partagé par tout le monde intellectuel un peu sensé, constat poussé par un délire obsidional : la civilisation occidentale est en danger. Qui la place dans cette situation ? D'après ces mêmes réactionnaires, il s'agirait de la perte de la spiritualité religieuse,  de la démocratie, du marché, de l'islam. Et pour cette analyse, (c'est là qu'est son brillant), on pourra dans une certaine mesure acquiescer...mais là où l'on se gardera d'abonder dans son sens, c'est précisément la face "réactionnaire", c'est à dire le désir d'ériger la littérature en force de résistance (et peut-être, si le pouvoir lui en était donné) en force de propagande, en organe de méfiance, en hormone de sécrétion fielleuse, en fantasme nostalgique d'un paradis perdu de la langue... 

- Deuxièmement, je ne veux guère m'injecter dans une autre dérive qui consisterait à dire "la littérature est le moyen de représenter la parole multiple qui en tant que parole émanant d'un individu distinct de moi aurait le droit démocratique d'énoncer sa vérité dans la mesure où La vérité n'existe pas", autrement dit, toutes les paroles se valent, toutes les écritures se valent,tous les sujets abordés sont dignes d'intérêt...la démocratie, quoi, dans toutes ces déclinaisons. Là, je dois dire que mon point de vue risque d'être un peu nietzschéen dans la mesure où la démocratie, prise dans cette acception, essaime la médiocrité, écrase le génie, étouffe l'élitisme. Or, il est clair que l'art, plus que jamais depuis que dieu est mort, demeure un dérivé important du sacré et qui, pour toute personne qui en approche, requiert modestie, travail sur soi, étude sans relâche...Confondre, comme c'est le cas trop fréquemment, l'acte éminemment qualitatif de l'écriture et le "marché", inflige à notre société une perte inestimable : perte de sens de la singularité, du respect du travail, de la parole complexe et sans recherche d'effet immédiat. La littérature ne peut se réduire à l'approche plus ou moins heureuse de la représentation du réel.

-N'axant mon travail ni sur l'idée que la littérature soit la traduction moderne de la parole révélée ni sur l'expression circonscrite du monde "dans mes frontières", je navigue nécessairement un peu seule, en quête d'un territoire pas trop foulé, légèrement vierge...(bien que tout ait déjà été dit...mais ceci n'est pas un problème puisque toutes les paroles proférées n'épuiseront jamais le monde). Alors voici depuis quelle embarcation (ontologique, esthétique, éthique...) ma volonté d'écrire se rêve :  je considère d'abord que la vie humaine est un accident. Accident au sens où toute vie humaine procède d'une rencontre (a minima) biologique soumise elle-même à des aléas (période féconde, fécondité des "reproducteurs"...) puis d'accidents en chaîne (déterminismes familiaux, sociaux, expérience)...Ces accidents (éléments qui ne sont pas soumis à notre contrôle) continuent, après l'acte de naissance, à constituer l'essence de la vie. La littérature fait partie des outils (j'emploie sciemment un langage vidé de "poéticité" et au contraire très concret) qui tentent de mettre à jour les accidents qui, en multipliant les sources de son analyse (science, philosophie, sociologie, psychologie, histoire...) se donne pour ambition de devenir un "objet de connaissance" qui ne s'établit pas uniquement dans une terminologie spécialisée mais, qui par la magie de l'incarnation, prend corps dans l'invention du personnage. Le roman est donc à cet effet l'espace propice où se rencontrent la sensibilité et l'intellection ; il en est, si l'on veut, la synthèse. C'est pourquoi, il doit sans cesse réunir les unités de fragmentation que le monde éclaté, par la nature même de son "être-accident", laisse choir dans sa déflagration. Fragments  également de poésie, de théâtre, de nouvelles...là aussi, synthèse formelle.

Cette réflexion sera poursuivie la semaine prochaine.

 

 

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