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1 septembre 2012

Le paradoxe du lecteur

La semaine dernière, j'ai commencé à poser un bilan de l'usage de ce blog. Pour prolonger la réflexion dans la structure annoncée, je voudrais désormais aborder le point sur lequel il me semble presque impossible d'agir à partir d'un blog : à savoir la représentation du "gratuit" qui colle à l'inconscient du lecteur, tout comme l'idée de "contre-don" après le don qui semble régir anthropologiquement les échanges de chaque type de société humaine. Pour clarifier, disons que la gratuité -paradoxalement- ne fait pas exploser le nombre de lecteurs ainsi que naïvement, ou tout du moins dans un élan maniaque, nous aurions été portés à le croire. Il est fort probable qu'en proposant exactement les mêmes textes mais en les faisant payer via un bon relais de diffusion et de promotion (critique dans quelques journaux, présence dans les centres névralgiques de la culture), le nombre de lecteurs aurait été peu ou prou assez similaire à celui qui fréquente le circuit parallèle du blog littéraire. La cause a été identifiée par la psychanalyse : en payant, on se sent "quitte" de la dette, on se libère de la difficulté de rendre ce qui a été donné et qui deviendrait, si elle n'était pas surmontée par le consentement à payer, une nouvelle source de culpabilité. Le psychanalyste explique ainsi qu'une somme, même symbolique, doit être versée par vertu "curative". Quoiqu'on pense de cet aspect, il peut être vérifié empiriquement. L'expérience fait qu'ayant un livre publié et un blog gratuit, je puis modestement témoigner d'une sorte de discrétion (oserais-je dire, un peu de honte à recevoir sans rendre ?) pour ceux qui viennent sur ce blog et qui pourtant pourraient anonymement s'exprimer sans être sommés d'acheter mon livre, laquelle discrétion explose quand, au cours d'un salon, je vends mes livres. Là, le client libéré comme au bordel, ne connaît plus l'inhibition.

Deuxième aspect : puisque il vient d'être question du bordel, c'est à dire d'un lieu où par mystification le désir circule sans heurter le sur-moi, le sentiment d'effraction, ou tout autre mécanisme qui en bloque l'accès, le livre doit nourrir ce fantasme. Le fait même de donner de l'argent pour obtenir l'objet du désir, construit l'objet en désir et en son accès. Le paiement remplit donc une double fonction : faire augmenter le désir de l'acquéreur en glissant un élément entre l'acquisition et lui-même tout en lui donnant une première satisfaction dans l'idée que le désir est quand même possible à réaliser. Un éditeur avec lequel j'avais eu brièvement l'opportunité de parler, m'avait bien expliqué qu'un auteur cantonnant sa publication sur un support gratuit,n'aurait pour ainsi jamais la moindre chance de sortir de l'ornière peu enviable de l'"amateur" qui pond un gribouillis en espérant l'extase de ses contemporains.

Ce paradoxe, qui je dois l'avouer n'est pas commode pour un auteur comme moi qui préfèrerait s'acquérir un lectorat par le "goût" plutôt que par le circuit classique de l'édition (dont le mécanisme en France est bien enrayé pour un tas de raisons qui vont d'une dégénérescence endogamique au manque d'initiative dont souffre l'entreprise française en général, en passant bien sûr par la crise) me conduit à ne pas abandonner mon désir d'éditer. Certains lecteurs partageant mes vues sur la fonction de la littérature (qui consiste-pour faire bref- dans une tentative de mettre en cohésion l'état fragmenté du monde contemporain- dans une intrication problématisée de récit et de pensée, le récit n'étant que la partie de la vie physique du personnage à laquelle il faut ajouter une approche ou plusieurs-la sienne, celle du narrateur, celle d'un autre personnage- qui en révèlent la signification ou l'absence de signification, perspective esthétique qui déploie l'univocité en multiplicité) m'ont demandé pourquoi je ne passais pas plus simplement au "tout-gratuit" puisqu'après tout j'avance souvent l'idéal de la bibliothèque municipale. De même, j'aurais pu volontiers me contenter d'une auto-édition en permettant au lecteur d'acquérir mon livre à prix coûtant. Croyez-le ou non, mais ayant déjà expérimenté toutes ces approches, la seule qui me permette d'être lue avec l'attention que mes livres méritent, et pas moins que ceux qui bénéficient d'une "grosse couverture" (oserait-on remettre en question le statut d'auteurs pourtant bien médiocres du moment qu'ils sont publiés ? Le seul fait que ces mêmes infirmes de la pensée et de la parole aient pour seul mérite d'avoir rencontré un éditeur aussi crétin qu'eux mais à la bourse prête à débourser une maigre aumône, les rend-ils meilleurs ? non bien sûr, mais respectés, oui) est d'être "autorisée" par l'édition. L'idéal démocratique aurait dû nous dispenser de cela, mais il n'en est rien. On devrait aimer la liberté qui nous est donnée et envisager égalitairement ce qui émane de petites structures comme de grandes. Hélas, on respectera et on continuera à respecter infiniment plus quelques navets bien commercialisés que les écrivains sérieux (sans être pour autant pédants ou ennuyeux) qui essaient, comme ce devrait être le cas si tout était normal, d'ériger leur littérature en art (et non en piètre divertissement propre à tromper l'ennui quand ce n'est pas son conjoint).

Finissons.

Il est donc avéré que le gratuit ne peut incarner à lui seul la voie d'émergence de l'artiste. Il est d'ailleurs remarquable -ou attristant- de voir nombre d'artistes, qui accédant à la notoriété, abandonnent leur blog ou leur participation grâcieuse à toute entreprise. La présence des uns et des autres sur Facebook n'a de valeur que celle de vitrine.

La question que je me pose à titre personnel, est donc la suivante : faut-il que je continue à rendre gratuit l'accès à ce blog ? Faut-il que je me mette, pour toutes les raisons évoquées, à faire payer, tout ou partie les textes les plus aboutis ici publiés et que je maintienne du gratuit pour tout ce qui est "conceptuel", "art de laboratoire"...? Ce travail sera-t-il rendu ainsi plus "désirable" selon les critères nommés plus haut ? Ce débat est ouvert, mais plus le temps passe, plus je penche vers une solution intermédiaire (que d'autres ont déjà explorée) : une partie donnée gratuitement, la suite payante si le début a plu...

Si certains ont réfléchi à la chose, que le débat a déjà été tranché pour eux, qu'ils n'hésitent pas ici à faire part de leurs réflexions...

 

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