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5 mars 2013

Une forêt, deux êtres : dernier épisode.

Et voilà, c'est la fin...Dernier épisode !

"Pourquoi, me direz-vous, n'ai-je pas songé à rejoindre ces hommes ? La question a sa valeur si l'on considère que je ne suis qu'une gueuse comme eux, après tout. Des idées de vengeance, de sang qui coule en abondance, une correction sévère infligée à qui d'un patron autoritaire, à qui d'une empotée de l'admnistration qui ne veut pas différer mon paiement "parce que c'est la règle, Madame", à qui je ne sais qui encore, -des idées de ce type, vous dis-je-, j'en ai eues plus que la cervelle d'un authentique sociopathe peut en contenir...mais ce qui se dresse sous mes yeux qui ont distingué ce qu'ils pouvaient, ce sont des hommes, uniquement des hommes et qui n'ont pas franchement l'air commodes ; hirsutes, sales, les yeux lourds de la vie rustique et de l'envie d'en découdre, tout à fait disposés à assimiler une personne les espionnant derrière un arbre, à une traîtresse...et le sort réservé aux traîtres, je vous l'ai rapporté, c'est un corps livré au vent, au balancier d'une corde. Alors, j'ai rampé, j'ai saigné, mais je n'ai pas bronché. Mon plan ? Retourner à la cabane pour n'éveiller chez Abel aucun soupçon, l'attendre pour qu'il me ramène en bas puisque j'aurais été bien en peine de retrouver mon chemin toute seule, et toute cette opération comme si de rien n'était, comme si bien sûr, cette grotesque et terrifiante armée de l'ombre, n'avait jamais rencontré mon oeil curieux et encore incrédule alors que s'éloignent les échos de la puissante voix d'Abel. Le reste du discours, je l'entends par bribes: "Notre but...les surprendre dans leur assoupissement...car ils dorment, ils ne se rendent même pas compte qu'ils crèvent, mais ils crèvent et nous font crever avec eux, les pourris !"

Rampe, rampe, bientôt tu seras assez loin pour courir...puis, quelques heures à tenir et la liberté à nouveau ! J'entends les hommes hurler "Mort aux traîtres ! Mort aux traîtres" et c'est comme si chaque arbre de cette forêt allait s'arracher à sa terre et écraser tout sur son passage. Je n'avais jamais entendu de cris plus terrifiants...un cri émergé de la nature sauvage et oubliée des origines...Je suis loin, je crois et je cours comme une dératée, je détale comme une lapin traqué par une meute de chiens...si ils m'attrapent, ils feront un carnage...il n'y a pas de raison que ça ne se passe pas comme ça, non ?

La question qui vous vient à la tête, chers compagnons, est : que vient-on faire ici si les sauvages nous mettent au bout d'une corde ? Pourquoi donc, est-ce que je vous amène là ? La réponse est simple : quelque jour, il vaudra mieux se trouver parmi eux que contre eux. En bas, les hommes ne se doutent de rien, ils continuent à constater, à s'indigner outrancièrement en poussant le cri le plus loin possible pour qu'on repère qu'ils sont du bon côté, et ils continuent à se protéger de plus en plus mal de la populace sauvage qui en veut à leurs bijoux, à leur fric et même à rien des fois ; ils continuent à contracter des assurances, à se pointer au boulot en se montrant dociles, à bavasser de la pluie et du beau temps comme si rien, absolument rien, ne méritait plus grande attention, comme si l'intelligence humaine ne devait se mobiliser que face à la pluie, à la course des nuages dans le ciel ou bien à l'apparition du soleil. Il se pourrait bien que parmi cette espèce d'hommes, il y ait d'anciens bandits qui se rachètent une conduite, des marginaux qui ont trouvé leur chef, des paumés qui se réjouissent par avance du carnage à venir ; en bas aussi : la saloperie est très répandue. Mais il va falloir choisir un camp, c'est toujours la même histoire. Grâce à moi, vous l'avez le choix. Vous voyez donc que je ne sers pas qu'à raconter des histoires !

Après cette course folle dans les bois, je suis revenue à la cabane. De l'eau, de l'eau pour boire, pour s'asperger le visage, pour se nettoyer les plaies sur tout le corps. Aussi, je me mets à manger tout ce que je trouve : je prends des forces car nul sait ce qui m'attend. Et je m'allonge, j'essaie de penser à tout ce que j'ai vu. Mais surtout, il faut que je me calme. Hésitations : dois-je me sauver, rester ? Se sauver, c'est laisser entendre que quelque chose ne va pas comme prévu. Je reste avec ce que cela suppose de contrôle sur soi. Mes vêtements déchirés, sont changés. Et je fais semblant de vaquer à des occupations anodines, comme le rangement, la préparation d'une soupe avec quelques légumes qui traînent...Et le voilà, comme la veille, le voilà.

Taciturne : il me jette un regard de biais. Je souris pour effacer l'ombre. Platement, j'émets des mots...la chasse fut semble-t-il difficile puisqu'il n'a pas un lapin, pas un marcassin avec lui.

"Non, répond-il sèchement. Ce qui a été difficile, c'est de savoir ce que j'allais faire de toi, de ton inconséquence de femelle stupide!" Il se lève brutalement avec un regard terrible ; il se passe en moi quelque chose d'étrange : je suis presque résignée à mon sort que je sens désormais joué." Tu m'as suivi ! Comment peux-tu imaginer une seconde que je ne m'en sois pas aperçu ? Et maintenant, que me reste-t-il à faire ? Si on me surveille et si quelqu'un apprend que tu es là, nous sommes morts tous les deux ! Et bien oui, tu sais maintenant, tu sais que les pauvres s'organisent. Oui, je les recrute, comme toi dans la rue, mais je ne veux pas de femmes, je ne veux pas former des colonnes de nourrissons et de geignardes ! Un jour, quand nous serons prêts, nombreux, nous descendrons : nous ne tuerons pas, ou le moins possible et nous prendrons là où il y a à prendre : les banques, les coffres des riches, les usines que nous administrerons nous-mêmes, les terres qui permettront à chacun de cultiver et de nourrir les siens !" Il me coince la gorge. Et desserre. "Alors, je vais te faire sortir de là et si j'apprends qu'on a été vendus, c'est toi que je chercherai en premier ! Compris?"J'acquiesce, je pleure, j'acquiesce, je pleure, tour à tour et simultanément. "Prends tes affaires ! On part sur le champ !" Evidemment, toutes les questions que j'ai en tête, -qui sont-ils, que veulent-ils ? Sont-ils nombreux ?-je les garde pour moi. La promesse que je formule est que je ne répéterai rien.

Le chemin du retour. Abel marche, marche à grands pas. Il ne se retourne pas une fois pour vérifier si je le suis ; il sait que je le suis. Et puis, il se fige. Arrêtée par son arrêt, je le regarde et je le vois regarder fixement sa droite. A mon tour, mes yeux suivent cette direction...Et que vois-je ? Que voit-il que je vois ? Un corps, nom de Dieu, un corps au bout d'une branche !  A moins de cinquante mètres de nous ! Un homme se balance, la tête pendante, la langue sortie. Un cri venu des abysses de ma psyché jaillit de ma gorge et je crois alors m'être évanouie...le signe, depuis le début, le signe, les visions...

La suite, mes amis est que je me suis réveillée en bas, là où tout a commencé, là où j'ai planté ma tente pour la première fois, là avec mes affaires ; il me tapotait les joues, il m'embrassait aussi, il m'a même dit "allez, allez ma toute belle, on se reverra bientôt, et tu seras ma reine pour de bon"

Les nuits suivantes, j'ai pris une chambre d'hôtel, j'ai dormi, j'ai mangé, j'ai appelé mon fils : il était loin de la vieille Europe où des idées neuves et redoutables naissent souvent et meurent tout autant, de mort violente. Le pendu me suivait en songe : c'était l'oeil d'Abel au fond des forêts, les cris des hommes hurlant à la mort, me rattrapant, me passant la corde. Et pourtant, je n'avais qu'une idée en tête, revenir à la cabane, vérifier si tout ça n'avait pas été un rêve. C'est pour cette raison, je crois, que j'ai fait appel à vous. Il me fallait des témoins capables de dire, d'écrire, de commenter...

Nous voici à la cabane d'Abel. Quel vent ! Quel long voyage ! Qui de nous tous souhaite rentrer en premier ? "

 

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