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18 février 2012

Après Lettres mortes

Et après ? Le mal des origines : prochain arrêt.

 

            Des Lettres mortes viendront sporadiquement faire tressauter le flux de ce blog, mais pour l’heure, laissons à la création explorer d’autres friches. Je souhaiterais rappeler, avant que d’entreprendre ce nouveau projet, que mon écriture se déploie de façon concentrique à partir d’une question contemporaine clairement identifiée et de laquelle émanent toutes les digressions narratives, dialogiques, monologiques, analytiques. Ce parti pris peut sembler paradoxal dans la mesure où le monde contemporain est éclaté, décentré. Mais si l’on peut, pour emprunter une image, considérer notre monde comme un champ de débris après un cataclysme, on peut se demander aussi légitimement, si la littérature doit faire état de ce drame, ou si elle doit encore maintenir l’objectif de recomposer l’unité de ce tableau épars, avec le langage et en lui.

            Bien sûr, poser la question, c’est déjà y répondre. Mon choix est fait, et c’est le plus présomptueux : appréhender la division par un centre, faire œuvre d’omniscience. Mais quel centre ? La réponse est douloureuse car je pressens que les catégories métaphysiques pensées autrefois comme immuables, sont aujourd’hui largement bouleversées et ce, depuis la cassure du massacre industriel opérée au XXème siècle. Forcément, on se sent un peu comme les clochards de la pièce de Beckett,  précipités au bord d’une route, en attente d’un signe qui ne vient pas. A la question « pourquoi » il n’ y aura pas davantage de réponse qu’à la question « comment faire ? ». Il revient alors à chacun de dérouler le fil de sa perplexité : c’est l’éclatement. La difficulté réside alors dans le fait même que chaque démarche, pour dénouer ce fil, est en soi légitime. Chaque individu qui prend la parole, théoriquement du moins, peut et doit être envisagé comme une participation irréductible à ce monde.

            C’est là que la littérature, telle que je l’entends, (dans sa configuration « concentrique ») prend un sens important, puisqu’il s’agit de réunir en une seule voix, les multiples échos de ce monde. Plus que jamais, l’auteur doit penser ce qu’il écrit pour éviter l’écueil que sa parole ne soit qu’une scorie ou une maladroite approximation. Un personnage doit être à la fois très singulier et très emblématique d’une tendance lourde ; une intrigue doit devenir une intrication, si l’on veut rappeler que la complexité de nos vies actuelles provient d’une forme de réticulation…Ces multiples interpénétrations rendent la tâche de l’écrivain bien plus complexe aujourd’hui qu’à n’importe quelle époque de l’âge de l’écriture. Il faut, pour appréhender n’importe quel sujet, multiplier les sources de connaissance (philosophique, historique, sociologique, témoignages directs, information immédiate) et en restituer une sorte de synthèse, pour faire reculer les limites du langage vers ce point « de non- retour » que fut cette tentative -partiellement réussie- de l’éradication de l’humanité. Drôle d’origine que la fin du monde.

            Cette conception a de lourdes conséquences. Voici ce que j’en retire : d’abord, en tant qu’écrivain, il me semble impossible d’amener le lecteur vers une vérité pré-définie et immuable, désormais. La littérature apologétique (religieuse, idéologique) risquerait de poser une « grille de lecture », qui face à ce que l’on a qualifié à juste titre d’ineffable, n’aurait de cesse de faire cadrer l’événement avec « une forme de vérité » qui n’a de fondement qu’en croyance.

            Mais n’esquivons pas la difficulté : est-ce à dire que nous retirons au langage sa force transcendante, biblique, prophétique et que nous devons nous contenter d’une restitution technicienne -ce contre quoi nous nous insurgeons- de notre monde ? La question n’est pas simple et il faut trancher : au nom de quoi, si l’on dépouille l’homme de transcendance, pourrions-nous même défendre quelque éthique, donner un nom, une identité à des personnages, une histoire qui vaille la peine d’être entendue ? Pourquoi et au nom de quoi « nommer » (et la question est d’une inquiétante actualité à l’heure où nous sommes de plus en plus appréhendés par la statistique, le chiffre, la numérisation) ?

            Je vais tenter d’apporter quelques éléments de réponse en reprenant ce que j’ai dit sur le fait que la volonté génocidaire des nazis, correspondait pour moi (et bien d’autres) de facto, à un échec de civilisation. Pourtant cette civilisation portait en elle des siècles de morale chrétienne où la question de l’autre est tout de même centrale, à travers l’amour. Ne mélangeons pas tout, bien sûr : nous savons que le nazisme s’est inspiré d’une forme de célébration païenne de la nation germanique, bien éloignée de la morale chrétienne. Néanmoins, si deux mille ans de cette morale avaient servi à quelque chose, c'est-à-dire à éveiller -ne serait-ce qu’une courte majorité de personnes- à la nature réelle de l’ignominie des actions du régime, cela eût été rassurant et il ne serait pas maintenant possible de douter d’une définition de la façon dont toute parole doit être orientée.

            Hélas, il nous faudra admettre que les choses sont compliquées et que nos entreprises, si convaincues qu’elles soient de leur bien-fondé, n’atteindront fatalement que des dimensions modestes, puisqu’il faut tout refonder à partir de nous, de chacun d’entre nous. Peut-être faudra-t-il d’abord, pour nous écrivains de ces périodes éclatées, nous contenter d’indiquer « les failles » depuis nos analyses préalablement fouillées, de les approcher au mieux par le langage et déjà, nous aurions accompli quelque chose.

            Dans les prochains billets de blog, je proposerai une série de portraits, paysages et dialogues que je rassemblerai dans cette tentative de synthétiser quelques éléments éparpillés de notre monde et qui en forment « un révélateur » : Le mal des origines. Si le sens n’est pas donné, rien ne nous empêche, dans la tentative renouvelée du langage d’en rechercher les traces. Et cette tentative, sans doute, atteste-t-elle même du fait, que dans une région éloignée de notre cerveau, une sorte de croyance subsiste de cette existence qui dépasse toute forme d’intelligibilité et d’où jaillit la volonté de dire, et qui peut-être saura atteindre par addition des consciences, une forme de dépassement. Mais, il n’est plus possible de croire au mouvement inverse, c'est-à-dire, à l’idée toute faite que l’homme serait un dépassement en soi, parce que trace d’une présence transcendante.

            Pour être cohérente, je commencerai par décrire ce que j’ai vu d’Auschwitz-Birkenau. Je suis, depuis ce voyage récent, acquise à l’idée qu’il nous faudra, à force de persévérance, trouver en cette fin, une origine ou tout du moins qu’un cercle autour de ce point se formera où chaque parole sera comme la pierre d’un édifice ; un édifice qui serait un peu comme une digue contre un nouveau déluge.

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