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12 février 2013

Survivre- une forêt, deux êtres, IV

Nouvelle-Feuilleton épisode IV ; se reporter aux trois posts précédents avant de lire ou bien résumé : une femme à la rue, décide de survivre en forêt ; son récit, qui incorpore les lecteurs imaginaires, reprend les éléments décisifs qui l'ont conduite à cette vie. Mais ce qui intrigue est qu'elle affirme avoir vu, dans cette forêt, une espèce d'humanité qu'elle ignorait.

- Merci de rester encore, mes amis. Puis-je vous appeler ainsi ? Compagnons, d'accord, c'est préférable et exact : nous avons bien partagé un bout de pain ensemble, un bout de route aussi. Nous marchons depuis longtemps et sommes fourbus, je sais...tout ce temps à marcher sans savoir où nous allons, ce qui nous attend, à part que le vent s'apprête à nous cingler le visage. Et les yeux jaunes des sangliers aperçus furtivement dans les jas épais des ronciers...ils ne nous attaqueront pas...enfin, j'en suis presque sûre...on ne sait jamais...oui, oui, c'est vrai...on croirait que la forêt va se soulever contre nous, nous enrouler dans ses barbelés de bois tordus, nous moudre dans ses yeux jaunes. Des enfants, nous sommes des enfants dans les forêts primitives de nos peurs. Les pierres du sentier où passent les transhumances, deviennent un troupeau de caillasse qui érafle nos chairs molles et roule sous nos pas. De tous les éléments, je crois, la pierre est celle qui nous humilie le plus. Pluri-millénaire, dure, impavide quand nous sommes tout le contraire. Nous trébuchons souvent...et pourtant, nous sommes près, vraiment près du but ; en fait, c'est juste derrière le sommet...l'endroit n'est pas visible depuis les chemins balisés. C'est normal : on ne vient pas vivre ici pour y être vu.

...Cet endroit, juste derrière la barrière rocheuse qui l'arrête, je l'ai trouvé, comme j'ai commencé à vous le dire, en me réfugiant dans la forêt. N'allez pas imaginer que j'avais un penchant romantique pour les lieux sauvages et désertés de présence humaine. Non, il fallait juste un lieu où dormir la nuit, sans être chassée. En fait, j'aurais nettement préféré rester parmi les hommes ; je les cherche depuis si longtemps. Il y a bien eu des rencontres, des amitiés, et même de l'amour...en vingt ans, vous savez...Mais, il me manquait...comment dire...l'absolu...comme au moment où j'ai suivi ce professeur par amour...oui, il y avait là de l'absolu, même si je crois, en regardant avec une certaine précision les choses, que j'ai suivi l'homme qui me récitait "Les bijoux" de Charles Baudelaire pendant qu'il me faisait l'amour...La candeur unie à la lubricité, j'étais alors son esclave nue...les yeux fixés sur moi comme un tigre dompté,j'incendiais son désir qui me revenait comme une vague, mon amour profond et doux comme la mer...

Je n'avais aucun désir d'habiter en bordure du périphérique comme le font tant de gens aux abords des villes ; dans le fond, je n'ai pas tout quitté de ma vie d'ouvrière à l'usine pour ne goûter qu'à de nouveaux malheurs. La liberté : comment lutter quand elle crie du fond d'une machine qui manque de nous broyer la main ? Je voulais retrouver ma propriété privée, pas celle qu'on paie en mensualités, non... Celle que mes consolateurs ont définie pour nous : nos philosophes dans de merveilleux articles qui firent grand bruit autrefois. Liberté : bien inaliénable. Liberté absolue ? J'ai beau n'être qu'une femme pauvre, je connais les limites de chaque chose. Ce que je veux : tirer l'élastique de la liberté jusqu'au point où les tendons craquent, les tendons qui dans la marche, supportent les muscles. Avec un désir unique : fermer la porte de ma location indigne, jeter les clés au hasard, poser mon sac sur le dos avec tout le nécessaire et marcher, marcher. Je veux trouver quelque chose en ce monde qui mérite d'être connu. 

Ma tente en forêt puisque là, devant un très joli parc, ce n'est pas possible. Il ne faut pas que je m'éloigne trop de la ville : demain, je me suis renseignée, les vendages commencent et je ne rate jamais les vendanges. Quelques sous, nourrie et logée, des chants dans les vignes. C'est dur, mais c'est mieux que l'usine. Et je ne veux pas mendier tous les jours. Après les vendanges, il faudra trouver un autre point de chute : peut-être avec les bergers quand ils emmènent les brebis dans les hauteurs...

Les premières nuits dehors furent terribles : je crevais de peur, même la présence de mon chien parvenait difficilement à me rassurer. La noirceur de la nuit me faisait pénétrer une réalité autre, réalité pour laquelle il me manquait les organes sensoriels. Mais c'était la fin de l'été encore, et la lumière laissait peu à la nuit le soin d'étendre son inquiétante opacité. J'apprenais durant cette période, à m'abriter du mieux que je pouvais ; on développe le sens de l'astuce pour tout un tas de choses, ici. Mais bon, on n'est pas là pour écouter le manuel de survie d'une clocharde.

 

Une aube, je fus réveillée par des coups de feu : la saison de la chasse s'ouvrait. Je ne m'étais pas trop enfoncée dans la forêt pour pouvoir vite regagner les lieux habités et y faire ce que j'avais à faire : un brin de toilette dans le Verdon, mon linge qui sèche sur les pierres, et puis le journal des chaines en continu au café du village...bientôt, il faudra que je change d'endroit : on me regarde vraiment bizarrement ici...et puis, l'autre, cet homme qui m'a suivie...j'ai eu si peur...il s'est pris ce qu'il fallait de bombe dans les yeux, le salaud.

La chasse, les coups de feu : quelqu'un rôde autour de ma tente. Alors que je m'apprête à sortir, mon chien aboie, aboie de plus belle. L'homme : il a tout du chasseur : fusil en bandoulière, tenue de camouflage. Je sors mon nez pour flairer, ma main sur la bombe:

"Oui, que voulez-vous ?

- Vous avez tout ce qu'il vous faut ? La voix d'homme est extrêmement grave, tout comme son visage. Brun, les yeux noirs et rentrés, grand, la cinquantaine. Il ne semble nullement inquiétant, mais...

- Oui, merci.

- Il y a des chasseurs, par-ici, faites très attention.

- J'ai entendu.

Je ne comprends pas où il veut en venir et, dans ma situation, on passe la moitié du temps à se méfier. Je suis souvent ennuyée et même plus que ça, parfois. Il poursuit :

- Je peux vous montrer un endroit où ils ne viendront pas.

Là, je commence à saisir. On ne suit pas les inconnus, enfin !

- Non, non, vraiment, ça ira.  

- Bien, soyez prudente. Au revoir." Après qu'il se fût éloigné, je soufflai, soulagée. Le départ pour les hauteurs allait se faire dans les jours prochains : plus que trois nuits à passer dans le coin.

L'antépénultième de mon départ, je mendiai pour ne pas avoir à dépenser l'argent des vendanges, en attendant que les bergers m'acceptent dans leurs rangs et, j'en connaissais un parmi eux qui savait que j'étais travailleuse et pas exigeante. Qu'on me donne à manger, c'est tout ce que je demandais en échange de mes bons et loyaux services ; et rien de tel aussi qu'une bonne marche en compagnie de gens qui vivent au grand air.

Mais le froid tomba d'un seul coup et je passai la nuit à grelotter. Le lendemain, je me réveillai courbaturée, fiévreuse, épuisée. Comment allais-je regagner la ville à pieds ? J'avais de l'argent de côté sur un compte, pas grand chose, mais juste de quoi parer aux coups durs. Je voulais une nuit d'hôtel, m'acheter une couverture supplémentaire, manger du chaud. Dans l'état où j'étais, tous ces efforts me parurent impossibles et je me mis à pleurer.

C'est alors qu'il réapparut, l'homme. Dans sa tenue de chasseur et un sac à dos. Devant la tente, il fit quelques mouvements, hésita à écarter la toile, renonça, posa quelque chose à terre et repartit.

 

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