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4 septembre 2013

Chapitre VI- Avant-dernier chapitre de "La disparition virtuelle de Régina Basel"

 C'est un roman feuilleton : Régina après avoir disparu virtuellement, est retrouvée par Patrick dans des circonstances pénibles. Il est à l'hôpital et la voici enfin.

Chapitre VI

Régina : là, moins qu'à n'importe quel autre moment de ses pérégrinations, il s'attendait à la voir. Il était coi. Peut-être rêvait-il ? Mourait-il ? Sa tête douloureuse lui lançait des messages contraires. Et pourtant, il sentait la main tenir fermement la sienne, il éprouvait la densité d'un regard posé sur lui sans relâche et il entendit même quelques mots susurrés : "N'ayez plus d'inquiétudes, Patrick. Je vais m'occuper de vous. Pardonnez-moi de vous avoir fait cavaler...mon amie Karine m'a tout raconté. Vous l'avez échappé belle ! Le chien surtout ! Le chien...il aurait pu vous tuer !" Si c'était une hallucination, elle n'eût pu être plus diabolique ! Ses yeux mi-clos s'ouvrirent tout à fait, et bien que la réalité lui parût étrangement hallucinatoire, que chaque fragment de son voyage semblât un atome fou dans un accélérateur de particules provoquant de nouveaux chocs à la tête, il s'accorda à penser, du moins avec le peu de pensée qui se laissait rassembler, que Régina était bien "sortie de son écran", ou de son lit de mort (ce qu'il avait fini par associer) et qu'à vrai dire, elle était bien plus vivante que lui.

"Alors, c'est vous ! trouva-t-il la force de répliquer en relevant la tête sur son coussin.

-Oui, aucun doute. C'est ce que vous souhaitiez, non ? Me voir ? Il eut envie de lui répondre qu'il la voyait mal avec cette nuit de plus en plus opaque qui enveloppait la chambre, qu'il avait juste reconnu la morphologie du visage sans en voir le détail ; il n'osait demander d'allumer la lumière...cela lui aurait paru indélicat, grossier...un peu comme de lui demander de se déshabiller...Sa silhouette se déplaçait autour de son lit de malade et il n'esquiva pas un mouvement pour l'arrêter. 

- Vous êtes blessé, votre bras est amoché, tout ça pour moi...Je ne vous comprends pas Patrick. Les autres ont la bonne attitude : ils m'oublient. Et vous, vous...vous avez pris cette mise en scène sur facebook tellement au sérieux !

Régina flottait autour de lui ; ses cheveux lâchés sur ses épaules se confondaient avec le reste de lumière crépusculaire rougeoyant au-dessus des premières Alpes. Elle caressait les mains de Patrick qui ne savait s'il fallait l'étreindre ou la fuir. Toujours cette ambiguité qui le paralysait depuis le début de sa rencontre virtuelle avec Régina. Là, près de lui, se soulevait la silhouette immatérielle comme un fantôme, sensuelle comme une sorcière. Tétanisés, ses yeux peinaient à suivre les mots et les gestes de cette étrange présence hypnotique.

- Vous êtes venu jusqu'à moi et maintenant, je n'ose plus mourir, continuait-elle doucement en lui caressant les mains. Votre opiniâtreté me rend au devoir de vivre ! Mais je vous fatigue, je le sens...Elle ébaucha un mouvement pour se dégager et partir.

-Non ! Restez ! Ne partez pas, je vous en prie !"

Et cette fois, Patrick brisa doutes et précautions : devant la lumière d'un puissant désir, les fantômes enfilent volontiers de la chair et des os. Quand Régina fut hissée par le bras valide de Patrick avec la force d'un homme trop longtemps parti à la chasse et trop orgueilleux pour rentrer bredouille, elle ne trouva ni écran, ni ruse, ni même peur à brandir face à ce Minotaure lassé de se perdre dans son propre labyrinthe. Il la prit : violemment, confusément, tout comme le chien noir lui avait sauté dessus quelques heures auparavant. Dans une perte de conscience totale, avec une tête dont les ressorts internes étaient comme déglingués, il déchirait sa peau qu'il sentait fine, il mordait son cou, ses oreilles et prit le chemin qui descendait jusqu'à son désir... Et elle n'était plus qu'un petit animal blessé, gémissant, jouissant, souffrant... savait-elle elle-même si elle souffrait ou jouissait ? La nuit les avait pris tous les deux, rendant impossible le discernement entre une chose et son contraire.

- Restez, nous partirons ensemble de cet hôpital. 

Il continuait à la vouvoyer ! Elle était à moitié dénudée, son corps était tenu dans le sien et il la vouvoyait ! Régina fut saisie par l'asynchronie du corps et des mots.

- Oui, Patrick Latour, La Tour d'Ivoire !

- La Tour d'Ivoire ? C'est ainsi que vous me surnommez ? C'est vous la Tour d'Ivoire ! C'est vous qu'il faut sortir de l'enfermement ! Il riait. Lui emboîtant le pas, elle se mit à rire aussi. Et mieux que ce nerveux corps à corps, cette espèce de lutte reléguée à l'arrière de la conscience profitant d'épouser la nuit pour s'exposer sans honte, le rire fut une rencontre plus complète, ramenant au corps cette lumière de conscience qui tintait comme deux verres qu'on trinque sur une nuit irréfragable et que les vibrations parviennent à fendre. 

La trouva-t-il à son goût  quand il put la voir en pleine lumière ? Oui, sans doute. Mais cette question ne l'intéressait déjà plus : son visage l'émouvait depuis le début, son regard, surtout, l'énigme de son regard. Et chaque fois qu'il lui adressait un mot, il cherchait cette première impression qui avait fixé son désir, sans même qu'il en eût conscience. Un processus lent d'imprégnation, comme un goutte à goutte qui pénètre le humus dans ses couches les plus profondes : ce visage de femme lui semblait déjà familier. Il eut à découvrir ses expressions intimes, la façon dont son histoire s'écrivait sur son visage. Il s'attendait à quelque inflexion de voix tragique, à quelque chose d'égaré, d'éprouvé ; il put déceler la douceur écorchée dans une moue silencieuse où lèvres et yeux, pointés vers le bas, scrutaient un sol qui semblait s'ouvrir sur un infini. Et elle ? De Patrick, elle ne connaissait que sa détermination à la trouver ; elle qui auparavant le considérait comme un gauchiste caricatural et immature ("tous les gauchistes sont de grands adolescents", lui avait-elle même écrit au bon temps où ils échangeaient sur Facebook, et ce à propos de Notre-Dames-Des-Landes : " vaste fumisterie de l'utopie de quelques soixante-huitards attardés", ce à quoi il avait répliqué : "Sortez de la caricature, Régina", la riposte ne se fit pas attendre : "Vous êtes la caricature d'une caricature, c'est ainsi. Ne me dites pas que votre grand combat consiste à empêcher la construction d'un aéroport !" Il avait alors dit : " Ca commence par les petites choses, le combat ; c'est pour ça que je ne suis pas utopiste mais réaliste" ; bien sûr, il n'avait alors à l'époque pas la moindre idée de son implication dans le syndicalisme); depuis la nuit dernière, le surmoi gauchiste avait bien su conserver un "ça" tout à fait éruptif, viril et pour Régina, souhaitable. Car rien, de son propre chef, depuis sa raison raisonnante n'eût pu la déterminer à aimer un quelconque homme, car aucun ne la subjugait à part ceux dont elle avait envie de couper "un petit quelque chose"...elle connaissait le danger ! Patrick, en ce sens, l'avait prise, sur-prise, et il n'aurait pu s'y prendre mieux avec elle. Elle pouvait donc, si son corps avait bien admis le franchissement d'obstacles qu'elle avait, année après année, dressés, aimer Patrick dans sa robuste consistance, son visage assis dans sa virilité, et ses mains...ses mains qui autrefois avaient peint quelques femmes...

Et que peuvent deux êtres qui n'ont pas passé les quarante dernières années ensemble, qui n'ont de mémoire que quelques bribes de conversation échangées ci et là ? Ils firent de leur mieux : oui, c'est ainsi qu'un observateur honnête aurait pu juger de leurs agissements l'un envers l'autre.  

Patrick resta quelques jours auprès de Régina avant de repartir en Seine et Marne. Et voici comment se déroula ce premier ou ce second chapitre de leur histoire, car la conception n'est pas la naissance mais la naissance n'est pas le premier jour de la vie. 

    

 

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Commentaires
C
Ils firent de leur mieux!!!
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