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14 mai 2013

Mourir par procuration.

II- Changement de "statut". (suite de La Disparition de Régina Basel. Voir épisode 1 au dernier post.)

Un « ami » perspicace, un certain « Patrick Latour » qui mentionnait dans son profil aimer les ambiances underground et les idées écologiques -un bobo parfait si l’on en croit certaines classifications sociologiques- plaça un commentaire avisé à cet avis de décès : « Très chère, vous avez oublié de nous décrire comment c’est « après » ou là-bas, ou bien ce que ça fait d'être morte. Puisqu’il semble que vous pouvez nous écrire encore, racontez-nous. Ou bien si c’est pour nous dire que Facebook vous déçoit terriblement et que nous sommes d’horribles indifférents, ma pauvre…La mort virtuelle peut être sacrément salutaire, moi je vous le dis. D’ailleurs, je vous conseille de faire la même chose que moi le week-end prochain (si vous voulez me rejoindre) : je vais à Notre-Dame-Des-Landes avec des vrais gens qui se battent pour une vraie cause."

            Patrick Latour reçut quelques « like » bien intentionnés et d’avantageux commentaires sur ces « enflures de politiciens » qui décident d’un « projet de merde », mais Régina Basel, elle ne répondit pas, ne surenchérit à rien. Deux jours après, il y eut, non pas un « statut » (Dieu que ce langage est étrange, un statut, comme si on changeait de nature, de fonction, de grade), mais une photo de Régina, une photo d’elle de profil, allongée dans un linceul blanc, la tête seule dépassant, les yeux ouverts mais inexpressifs, le corps dans le cercueil. Les traits du visage indistincts, s’estompaient dans le flou de la photo.

            Le chat blanc qui précédait cette photo dans le « fil d’actualités », avait quand même plu à quelques zélés de la cause et, pour sa beauté « angora » s’était vu gratifié de trois « j’aime » et d’une remarque « trop beau ». Personne n’avait souligné qu’il s’agissait pour le coup, d’un profond changement de « statut »…

            Régina, cette fois, allait « trop loin », selon les dires d’une internaute, appelée étrangement « Paule Pote ». « Qu’est-ce qui te prend de nous montrer ça ? Tu vas bien ? » Elle la tutoyait bien qu’elles aient échangé en tout et pour tout, trois répliques. Mais ici comme ailleurs, des êtres peuvent devenir des familiers très rapidement alors que d’autres, et quels que soient nos efforts pour nous rapprocher d’eux, demeurent irréductiblement éloignés. Paule Pote était « sympa » et tenait à le faire sentir ; c’est l’image synthétique qu’elle voulait donner d’elle. Femme agréable, accessible, ouverte, émettant des icônes de cœur à tout-va, elle bénéficiait d’une certaine aura sur le réseau. Si elle émettait une photo de son patelin sous la neige, des commentaires aussitôt affluaient et si elle disait quelque chose comme « Quand je suis dans ma cuisine, je retrouve le bonheur », alors là, vous pouviez être sûr qu’une flopée de facebookiens se ruaient pour déposer leur recette préférée et qu’une expression comme « recette du bonheur » trouverait immanquablement sa place au milieu des dosages de farine et de sucre : cette prévisibilité dans les mots doit faire partie des manières dont les hommes usent pour se rassurer au milieu de l’inconnu. Des sortes de ponctuation convenues du langage comme il sied de dire « amen » à la fin d’une prière, et qu’importe l’effectivité du mot du moment qu’il nous fait communier. Le lieu commun, le lieu de tous les communiants d’une certaine médiocrité indissociable de la modernité, tout comme un bâtiment d’hypermarché finit toujours par surgir à l’horizon d’une ville : il faut bien du discount pour les bourses vides et des mots pour ceux qui n’ont rien à dire…

Mais voilà qui aurait dû ébranler nos contemporains, du moins les faire changer de crèmerie : l’enseigne des mots usés, ils avaient enfin de quoi la renouveler pour une fois, car Régina était bel et bien sur la photo, avec l’air d’une morte, mais d’une morte aux yeux ouverts, une morte qui aurait voulu se voir mourir en somme, qui n’aurait pas voulu perdre une seconde de son passage dans l’autre monde. Paule Pote en était médusée, faussement bien sûr. On ne peut pas dans une vie, en plus de sa propre vie qui est devenue pour chacun d’entre nous une sorte de dossier à multiples tiroirs, s’occuper des morts virtuels ou des morts réels qui apparaissent virtuellement qu’on n’a connus que sous la forme virtuelle. La présence virtuelle n’est jamais qu’une présence par procuration du corps réel, ce qui constitue « un dossier à part ».

            La réponse de Régina fut la suivante : « Je suis morte. Qu’attendez-vous pour les messages de condoléances ? C’est tout ce que je réclame de ce monde : des condoléances. Il me les faut pour fermer les yeux. »

Cette fois, les facebookiens s'inquiétèrent ; du moins, manifestèrent des "signes" d'inquiétude. Patrick Latour, de retour probablement de son week-end engagé, prit l'initative d'écrire directement à Régina sur sa messagerie, un mot " Tu m'inquiètes vraiment, chérie. Ca ne me fait pas rire ton histoire. Tu m'envoies un mot, sinon j'alerte les flics. Je suis concerné maintenant : lève les doutes."

 

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