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14 janvier 2014

Littérature et politique

Défense de Manuel Valls : du mot à l'acte, enfin.

Le mariage entre littérature et politique n'engendra pas toujours de beaux enfants -disgracieux de forme ou boîteux dans le fond- ; je voudrais ici en dessiner deux écueils desquels j'extirperai les rares et grandes exceptions, car à part quelques brillants esprits qui surent entrelacer le premier degré de la dénonciation aux fines percussions du style, la littérature engagée demeure, parce qu'elle se confond aux prouesses de l'art oratoire, un morceau de bravoure dans le meilleur des cas, ou au pire, un pâté de bons sentiments qui serviront aux discours d'ouverture des séances aux causes internationales, du Nobel de la paix, aux oracles vides des délégués des droits de l'homme aux affaires européennes. Employées à ces fins, il s'agit de paroles inutiles, et pires, qui finissent même par nuire à leur objet. Le discours vaguement universaliste emprunté pourtant à des révolutions réelles -de France et d'Amérique- enflé de concepts vagues car "des-épaissis" de leur violence convulsive où elles ont pris racine (-droits de l'homme par exemple-), de phrases toutes faites où l'on citera quelques grandioses fragments du rêve accompli par Martin Luther King ou sobre aphorisme de Mandela, dans des institutions "garantes de la paix entre les nations", de l'amour universel toujours rêvé mais toujours impossible, tournent à vide, et dans leur ressassement détaché de leurs sources, et de leurs expériences irréductibles de souffrance, et dans leur évidente inefficience sur l'humanité d'aujourd'hui ; ça ne porte plus. Pire, ça sent la publicité. La phrase qui propose du rêve, un rêve sans consistance, le poster de Che Guevara sur le mur de la chambre de l'adolescent, ou même, hélas, la caution identitaire de groupes qui travaillent la haine au corps : c'est ce qu'on appelle communément la récupération. On va à la casse et on fignole un objet de bric et de broc mal soudé au reste du corpus idéologique d'origine avec le petit chalumeau de son garage. On prend Mandela et on le soude à l'antisémitisme : ça se passe en ce moment, près de chez nous et partout sur la toile. On a tellement usé de mots qu'on est usés par eux. 

La publicité, l'image. Quand Obama reçut son prix Nobel de la paix alors qu'il n'avait encore rien accompli dans ce sens (un prix prémonitoire ?), je compris que l'on préjugeait, qu'on avait vidé le sens de tous les mots et qu'on en avait fait des vignettes : noir=sagesse de Mandela et de Luther King. Obama = noir = futur sage. Comme c'est absurde, c'est du racisme à l'envers. Comment peut-on à ce point se fourvoyer ? Se fier à une apparence physique ? Refaire le même chemin en sens inverse ? L'accès généralisé des mots au symbole fait plus qu'affadir le propos, il le fait mentir, le met en odeur d'imposture. La dichotomie entre le langage et le réel corrode la perception de l'histoire jusqu'à une terrible simplification, simplification où le mot est résumé par une image, l'image d'une l'image passée, repassée, un cliché, un stéréotype. La réalité se vide des mots patiemment posés sur les choses que le travail de décantation lente opère avec bonheur.    

Quand un auteur s'attaque à la misère à l'instar de V.Hugo dans un discours à l'assemblée réclamant l'abolition de l'extrême pauvreté, on obtient une merveilleuse voltige verbale : quelques belles hyperboles, envolées lyriques, période enflée, rythme ternaire dont l'efficacité est prouvée par les techniciens de la parole sur le destinataire, ne peuvent déplaire au lecteur, le persuadent en profondeur à défaut de le convaincre. L'abolition de la misère acheva d'inscrire Victor Hugo dans notre histoire nationale en apôtre de la bonne parole, de la juste parole ; mais voilà, on n'abolit pas la misère comme on abolit la peine de mort. Dans le premier cas, il faudrait une sorte d'organisation utopique alors que dans l'autre, l'homme politique peut décréter pour que la mesure prenne effet. Et une fois que toute cette ronflante rhétorique est repérée, il ne reste plus qu'un petit amas de mots qui ne pèsent pas bien lourds face à la réalité de la misère. Car "la misère" est la résultante dramatique de mécanismes complexes ; il y a bien "des misères", autant d'hommes que de misères possibles, même si la souffrance n'est pas très inventive et qu'elle a cette tendance à se répéter. Un discours ne traite nécessairement que de cas généraux ; c'est sa force quand le fait est massif, et sa faiblesse quand il est repris dans n'importe quel engagement ultérieur trempé à l'eau tiède de notre universalisme mondial.

Il ne faut pas être trop injuste non plus. La juste cause permet de faire mieux qu'une belle oeuvre : une action juste. Un Zola qui prend la défense de Dreyfus, par exemple. Dreyfus est un cas particulier ; de même que les protestants défendus par Voltaire sont des indvidus. L'efficacité dans ces deux cas, est avérée, parce que le discours prend de la chair, des os, des nerfs, ceux de la victime de l'injustice que l'écrivain éprouve en lui-même.

Mais même avec tout ce qu'on peut lui reprocher d'un peu ronflant, la littérature d'engagement de Victor Hugo demeure un phare. On pourrait se prendre à rêver d'hommes aussi justes que puissants aujourd'hui. Ce qui advint ensuite, plus tard dans le siècle et au XXème siècle, peut à juste titre nous consterner. D'authentiques et coupables appels au meurtre, à la haine...relayés par d'authentiques et coupables écrivains. Inutile de citer les noms bien connus de Brasillach et de Céline. On le sait : on sait si l'on veut savoir. Et l'on est accablés de savoir.

Les écrivains peuvent être faibles, de vraies couilles molles face aux périls qui menacent ou alors, ils peuvent se contenter d'un discours fort général qui n'engage pas grand chose ; aujourd'hui encore, l'affirmation est vérifiable. Quand on lit ce qui se dit (à propos des faits récents de la suspension du spectacle d'un médiocre bouffon) chez quelques bonnes âmes qui s'essaient à penser, sur la toile et ailleurs, on est surpris : de très nombreux intellectuels ont trouvé que l'intervention de Manuel Valls était indélicate, qu'il n'aurait pas fallu qu'un homme politique prenne ses responsabilités d'homme politique, qu'il laisse la haine s'étendre organiquement et gentiment, sans lever le derrière de son canapé. Et pour justifier cette incroyable inertie, on pronostique que la haine se fatiguera d'elle-même ! Quelle paresse intellectuelle : nous serons vengés de la haine par elle-même ! L'immanence viendra résorber ce petit accès de furonculose antisémite ! Mouligasses cossards des pensées flaccides ! Et dire que certains parmi ceux-là ont écrit des livres, en ont ouvert, et même connaissent leur histoire ! Mais qu'en savent-ils ? Apparemment, rien ! Quand on laisse le serpent en liberté, pourquoi n'irait-il pas visiter le monde ? Peuvent-ils minimiser à ce point l'histoire pour faire mine d'affirmer que la liberté se loge dans la bouche des imposteurs, et qu'il convient de la défendre même quand elle est empoisonnée jusqu'au risque d'entraîner la démocratie dans le caniveau ? Mais qu'ont-ils fait ces intellectuels pour lutter contre les monstres de foire qui animent notre théâtre contemporain au nom de la liberté d'expression ? Ont-ils protesté, organisé quelque petite manifestation de désapprobation ? Qu'ont-ils dit depuis toutes ces années ? Et que feront-ils demain si les mots s'accompagnent d'appels au meurtre ? Pourront-ils continuer à ricaner de ce qu'ils jugent être "une mauvaise action politique" alors qu'ils n'auront pas bougé le petit doigt pour infléchir le mouvement qui emporte dans son sillage tant d'incultes et d'autres, moins incultes, -et plus coupables par conséquent- ? De la pédagogie ? 

Ces imposteurs racistes agissent depuis des années : politiquement et aussi par l'arme du spectacle. Si les intellectuels n'ont pas les armes pour agir, qu'ils se taisent mais qu'ils ne critiquent pas les hommes politiques qui prennent des risques, des responsabilités, c'est si rare, cela a été si rare par le passé, dans ce passé douloureux de la collaboration. Quand il n'y aura plus un Manuel Valls pour entraîner une action politique digne de ce nom, que ferons-nous ? Sur quoi pourrons-nous nous reposer si ce n'est notre démocratie et l'action qu'elle doit s'autoriser contre ses ennemis ? Son action est-elle parfaite ? Non, mais elle est. Un geste contre l'ignominie a une valeur inestimable, surtout quand celui-ci se fait si rare. Il fut un temps où des gens auraient appelé à manifester devant de cette déferlante de bêtises. Ce temps est révolu. Nous autres français sommes désormais divisés entre les démocrates si faibles et des forces coagulées par simple opportunisme et visées paradoxales.

Les intellectuels auraient dû prendre leur plume pour dénoncer ; ils n'ont rien fait. Qu'ils se taisent au lieu de critiquer et qu'ils fassent ce qu'ils doivent faire au minimum : reprendre la plume au service de la justice.

   

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