Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
contempo-reine
contempo-reine
Publicité
Archives
Pages
Newsletter
18 août 2013

Chapitre IV- suite. Roman : La disparition virtuelle de Régina Basel.

Ceci est un roman commencé en mai et il est donné en feuilleton dont les épisodes sont écrits au fur et à mesure des "posts" ; je conseille de le lire depuis le début (tout est accessible, il suffit de remonter à mai).

Patrick arrive donc à Aix en Provence pour y retrouver Régina. Cette fois, l'épisode sera long afin de tenir compte de l'impatience légitime de certains lecteurs qui veulent apercevoir enfin l'issue...

Chapitre IV, suite.

 "Patrick enfin perçut l’issue de son voyage au moment où il referma la portière de sa voiture de location ; une heure peut-être le séparait de Régina depuis la gare d’Aix-en-Provence ; il en frémit. Pourquoi était-il là ? La réponse n’avait plus d’importance ; que le hasard dictât sa présence ici ou Dieu lui-même, qu’importait ? Dans les deux cas, il fallait qu'il fût persuadé en son tréfonds de la validité de son action, car même Dieu octroyait à l'homme sa liberté de choix. Il n’était plus le pusillanime adolescent qui s’excitait au contact des femmes sans pouvoir agir autrement qu’en imagination ; avant de devenir infographiste, aux alentours de trente-quatre ans, il s’était essayé à la peinture sans succès pour sa bourse ; mais avec les femmes, ç’avait été une toute autre histoire ; il en avait déshabillé quelques unes pour les besoins de sa cause éminemment artistique…et la timidité du jeune homme sensible s’était vite évanouie au contact de modèles bénévoles, prêtes à se sacrifier si généreusement sur l’autel du génie créateur…Il avait même rencontré sa femme de cette manière ; elle était alors la petite amie d’un bon copain. Sophia…le teint mat de l’italienne, les prunelles vives comme des démons ; il avait profité de la mésentente de ces deux-là pour lui proposer une séance de pose, le perfide…et puis, elle se déshabilla sans rien demander… par dépit, pour narguer son petit ami avec lequel elle ne s'entendait plus très bien…Un tel corps ! Des seins portés comme des fruits, concavité des reins, convexité des fesses…la regarder le rendait fou ! Elle ne s’en apercevait même pas au début ; puis il lui demanda de revenir poser plusieurs séances d’affilée…Et elle accepta sans ciller ! Enfin, ce fut la passion ; elle le dévorait, l’entourait, l’enlaçait, lui soufflait des petites insanités très osées à l’oreille…Il se laissait cajoler comme un pacha. Il l’épousa à la mairie alors qu’elle était déjà enceinte, la diablesse. Puis tout devint sérieux : il fallait qu’il ait un boulot sérieux, qu’il soit un homme sérieux, un père sérieux, un mari aimant sérieusement sa femme, femme elle-même prenant sa vie avec tout le sérieux qu’implique la maternité. Elle avait eu des raisons tout aussi sérieuses de penser ainsi l’orientation de leur vie, il le concédait : nourrir un enfant passe avant tout. Mais comment tourner le dos aux femmes, au vin, à la peinture ? Pourquoi parvenait-elle si aisément à ce qu’elle nommait « maturité » alors qu’il considérait cette « évolution normale » comme une contrainte ? Une désynchronisation totale. Les disputes avaient alors commencé ; chaque jour, il partait un peu plus de son foyer et chaque jour, elle cherchait à le retenir. Il savait que c’était bête, même pas intéressant la plupart du temps que ces échappées solitaires ou moins solitaires…bête, mais il n’avait pas eu le courage d’y renoncer. Elle se lassa ; les cris furent remplacés par la haine. Ils avaient échoué, rectification : il avait échoué…et au milieu, un enfant réclamait sa part d’amour. Désormais, Sophia refaisait sa vie, ou tentait de retrouver une expérience "à la hauteur", un homme qui échapperait à la bêtise du genre, un homme adulte qui n’aimerait qu’elle « sérieusement », qui ne banderait qu’en pensant à elle…mais dont la force virile ferait quand même bien des envieuses… cet Homme, aussi sur-Homme fût-il, ne banderait que pour elle ; vivre avec Sophia impliquait d’habiter à côté d’un orgueil très puissant.

            Et Régina dans tout ça ? Essayait-il, pour elle, d’être cet « homme à la hauteur » qu’il n’avait pas su devenir pour Sophia ? Etait-il tombé amoureux d’elle ? Sans doute un peu ; ou bien, sans parler d’amour, lui restait-il encore le sens du romanesque avec ce que le mot amour allumait en lui, comme de vieilles reliques qu'il transportait dans un sac et dépoussiérait pour les grandes occasions ? Et quand il tourna la clé dans le contact, il s’observa dans le rétroviseur : serait-il en mesure de plaire à une femme, pas à n’importe quelle femme, une femme d’un genre qu’il n’avait pas encore approché, une femme qui n’avait pas cherché à lui plaire, à le voir, à le séduire ? Une femme qui avait choisi de disparaître n’espérant certainement pas qu’un homme sortît comme par enchantement de son écran d’ordinateur pour lui parler, la voir, l’aimer, elle la « déjà-morte » ! Avec ses lunettes de soleil, il se trouva très viril, très « assis » dans son âge d’homme ; on ne voyait pas ses cernes lourdes derrière ses lunettes. Jusque là, il ne se jugea pas déplaisant. Et le reste ? L’âme, l’esprit ? Etait-il assez humain, intelligent ? Il la savait cultivée, fine, raisonneuse, et même polémiste sur le chapitre politique ; elle n’aimait pas trop les gauchistes (et il en incarnait un à sa manière) bien qu’il eût pu apprendre récemment son activité syndicale ; elle ne goûtait guère non plus aux réactionnaires comme ceux du type de la « manif pour tous » qu’il avait pu rencontrer dans le train, en arrivant ; au cours du trajet, Patrick se dit que cela pourrait être une belle entrée en matière entre eux deux : il lui raconterait le ridicule des jeunes manifestants, un échange pour rire un peu, quoi ; un coup de sarcasme sur le slogan « un papa, une maman » et leur tenue bleue et rose…

            Puis le regard de Patrick flotta sur le paysage : il sortait d’Aix, prenait la direction de Pertuis et le Luberon, magistral, barrait l’horizon…Au péage de Pertuis, il prit vers l’Est, la vallée de la Durance jusqu’à son point le plus spectaculaire et le plus sublime : le pont de Mirabeau…Un cirque de rocaille blanche plongeant sur la rivière. Il ne regrettait pas d’être venu, quoiqu’il pourrait ensuite advenir. Lui l’enfant de Picardie, écrasé par le ciel anémique du nord, voyait dans la lumière franche du sud une libération, comme une sortie de prison pour ses pauvres yeux accoutumés aux couleurs éteintes. Puis, il vit défiler des villages de Provence comme Saint-Paul, Vinon ; il sortit à Manosque. Chaque nom de village, de ville, suscitait la sorcellerie évocatoire de la poésie, noms de lieux réverbérés par les rideaux de lumière éblouissants du soleil d'octobre qui les rendaient presque indéchiffrables et d'une certaine façon, mystiques. Il lui semblait que plus il se rapprochait réellement de Régina, plus il s'enfonçait dans une lumière qui l'aveuglait...Tout comme s'il progressait réellement vers l'irréel...tout ceci était si confus ! En une heure de voiture, il avait atteint « l’état poétique » par lequel un homme se sent plein du monde qui l’entoure et fait corps avec lui. L’ivresse de la beauté avait gagné son âme ; il arriverait euphorique.

   Valensole. C’était là, voilà. Fin du voyage. Il gara la petite voiture de location sous le pin cachant la maisonnette. Il avait déjà fait ses repérages sur internet…pas de doute.

  A première vue, le lieu semblait accueillant, gai avec ces arbres pas encore dégarnis par l'automne, mais abandonné. Quand il se posta devant la porte, il eut une surprise. Mauvaise surprise. Une lettre était accrochée à la porte : « Pour Patrick ». Il en avait eu le pressentiment dans la voiture ; il savait bien qu’elle n’était pas « disposée » à le rencontrer. Il se prit la tête entre les mains…quelle déception…une lettre et elle, Régina…envolée ! Il ne se donna même pas la peine d'appuyer sur la sonnette.

« Cher vous,

Vous ne me trouverez pas ici, ici pas plus qu’ailleurs. Si vous êtes arrivé jusque là, c’est que vous êtes peut-être fou : je ne vous ai guère encouragé à venir ou à communiquer avec moi ; et faire tout ce trajet pour vérifier si l'annonce virtuelle est bien réelle, prouve bien que vous avez perdu votre bon sens. Je vous l’ai dit : mon âme est morte et plaise au ciel qu’il me délivre bientôt de mon corps. (La lettre comportait bien deux feuilles manuscrites). Je ne sais pas pour quelle raison profonde vous souhaitez me voir ni quelle chimère vous poursuivez. Votre « Notre-Dame-Des-Landes » ne devait pas vous suffire et vous vous imaginiez pouvoir la remplacer par la sauvetage d’une pauvre âme perdue. Mais sachant que vous alliez arriver, j’ai commencé à « me penser vivante », et c’est précisément l’illusion à laquelle je dois échapper, surtout si cette illusion provient d’un homme. Je ne dis pas « exclusivement d’un homme » mais « avant tout d’un homme ». Sachez pour la petite histoire que j’ai été jugée pour avoir tenté de castrer mon ancien mari. Internement psychiatrique d’office pendant deux mois. Certes, il a été mauvais avec moi. Certes, oui. Mais depuis mon enfance, je contiens dans mes nerfs une rage indescriptible dès qu’une injustice me soulève le cœur. Croyez-le ou non, mais je ferais exploser une flotte entière au nom de la justice. J’ai la bonté sans le sens du sacrifice. Tout comme vous, je hais le pouvoir qui écrase, qui humilie, qui offense : j’ai lutté pour la dignité des hommes, à ma manière. Syndicaliste, j’étais la plus virulente d’entre tous. On essayait de me calmer, d’arrondir les angles…Et plus le temps passe, moins je suis faite pour ce monde où l'on renonce au beau, au bien, au bon. Je suis gorgée de haine. Je suis bonne et je suis mauvaise : au nom du bien, je me venge. Et si j’aime un homme, alors je rampe et il m’humilie. Il me crache dessus tant qu’il peut…Je ne veux pas, je ne veux plus. Alors, j’ai résolu ma vie à la plus grande solitude. J’ai eu la faiblesse du monde virtuel ; faiblesse, oui. Monde trompeur. A nouveau, les tentations…Il a fallu cesser ce cirque aussi. Ne me cherchez plus, je suis introuvable. Morte, je vous le dis et le redis. Régina. »

    Patrick lut, relut ; soupira, toqua à la porte, tenta d’ouvrir les volets, s’énerva, retomba, respira. Il était abattu et étrangement, il se mit à pleurer. Il pleurait et ses sanglots le soulevaient par saccades ; il fut lui-même surpris de s’entendre pleurer, cela ne lui était plus arrivé depuis que sa mère était morte sept ans plus tôt. Il aurait dû fuir, fuir ce qui évidemment ne pouvait être trouvé ; il aurait dû avoir peur de découvrir le secret de Régina, le terrible secret. La réalité se dérobait sous ses pieds vacillants ; depuis trop longtemps maintenant il évoluait devant un écran et c'est comme si cette réalité, fatalement avait été avalée par l'hégémonie de l'écran ; il était face à ce qu'il restait de réel depuis que le monde avait été liquidé, rasé, vidé : vision de cauchemar ! Devenait-il fou ? Et tout lui parut comme si le diable lui-même l'avait attiré jusque là pour lui donner l'avant-goût de l'enfer !

Non, non, cela ne se peut...Il se ressaisit...Puis une idée jaillit : et s’il allait chez les commerçants du village se renseigner un peu ? Pas un instant, la lettre ne l’avait fait douter de l’intérêt de ses recherches. Même pas le terrible aveu de « tentative de castration », même pas ce que le cœur de Régina renfermait de haine, selon ses mots. Le monde réel avait bien planté sa tente quelque part, et il trouverait où...Il sauta dans la voiture et se dirigea aussitôt vers le petit centre de Valensole...  

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
R
Bonjour Chris,<br /> <br /> Il y a déjà un rebondissement ici. Les choses se déroulent en même temps que le personnage cherche. Merci de suivre le roman ! Reine.
C
Mmmm! Intéressant!!! Nous venons d'atteindre notre vitesse de croisière!!! Nous approchons d'un très gros rebondissement!!!
Publicité