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16 janvier 2018

La victoire de l'éthique protestante en France.

La victoire de l'éthique protestante en France, seconde partie, chapitre deuxième. Tous les épisodes sont disponibles.

 

Chapitre deuxième (seconde partie)

La pauvre ! Que ne sût-elle que les lumières pâles envoyées par la raison sont dirimantes pour les causes martyres dont elle pensait s'instiguer le héraut ! Jamais amour, sacrifice ne purent sauver une âme creusant jour après jour sa damnation, livrée aux tentacules d'un calamar géant dont la première ventouse avait dû être posée dans le méli-mélo visqueux du jour blafard de sa conception ! Quel que soit le milieu où il évolue, l'homme apprend à aimer les secrètes souillures pour lesquelles il se félicite d'exister ; de quelle force surhumaine faut-il être doté pour expier la misère d'un rapprochement génital qui perpétue nos erreurs ? Une vie de purification y suffirait-elle ? Quel enfant peut s'imaginer sans honte la copulation de ses parents et s'offrir la joie de se concevoir amour et continuateur de cet amour ? Qui peut dire : « Ils sont un si bel exemple d'entente, leur esprit si parfaitement harmonisé que je me représente avec merveille le rapprochement de leur corps qui m'a donné naissance : mes parents sont beaux, spirituellement charnels, charnellement spirituels et je suis le fruit de leurs ébats mystiques. » ? Cette pensée qui pourtant ensemencerait une joie inouïe d'être au monde, ne vient pour ainsi dire jamais à la bouche de l'homme, à part chez quelques peu nombreux heureux élus. Pourquoi écarte-t-on si aisément à la vision de notre existence celle-là pourtant première ? Et bien la chose est simple ! C'est que nous savons que nous ne méritons pas d'exister, que l'amour dont nous découlons est la plupart du temps une fable, que peu de véritables unions méritent d'enfanter et que seul un miracle de grâce, une mystique levure faisant gonfler la chair jusqu'à l'esprit dans l'histoire de notre procréation pourrait enfin cesser cette chaîne de malédiction où les hommes n'ont d'autre empyrée que d'offenser la vie en l'engendrant si mal ! Oui, personne ne veut remonter jusque là et personne ne veut expier la faute ! Il faut attendre d'être malade, d'avoir reproduit les erreurs de nos parents, d'avoir enfanté et entraîné de nouvelles chutes pour se relever trop tard de l'infâmante vérité d'une copulation de babouins que pas une prière liminaire n'aura purifié de sa conséquence ! Ou alors nous faut-il vivre sans jamais se rendre compte de rien en se contentant d'agiter en nous ce qui est commun à l'animal et au végétal, se constituer partisan de la nature naturante, de la loi indépassable de l'instinct, surélever la condition de l'homme aux confins des besoins animaux, s'émerveiller en sophiste de la crotte généalogique de la naissance, de la biologie retournée à la biologie et n'oublier point de renvoyer la transcendance à l'alimentation des parasites ? On glose à l'infini sur le mal mais il n'est que l'enfant de la longue lignée de l'erreur pérpetuellement recommencée dans notre sang, dans nos veines !

Ainsi, Reine voulait proposer son martyre pour la cause d'un Luc génétiquement conçu pour offrir un tableau vivant de la chute, l'aimer jusqu'à l'offense dont il était devenu entièrement le dévoué dans le silence empuanti de son âme ; les années d'aigreur à ronger le frein de la solitude du créateur rarement excavé de son ascèse pour goûter aux plaisirs sonnants et trébuchants d'une reconnaissance mondaine, libérant pas son inique possession la convoitise inavouée de ceux qui se prétendent libres sans elle, voilà comment en goutte à goutte, année après année, le diable s'était infiltré dans l'idéal poreux de Luc, voilà comment il s'était présenté à lui sous les formes de l'ami, lequel à condition de lui prêter son âme, effacerait enfin la désespérante lucidité d'une existence sans autre chemin que de devoir se garder des cuistres et vieillir dans la seule gloire d'une dignité farouchement disputée. Les artistes véritables n'ont d'autre viatique -et quel fardeau!- que les récits des saints pour les consoler des avanies de goujateries chues dans l'auge du porc contemporain. Et pour les autres et leurs produits frelatés écoulés à la boutique des cotes spéculées par les patibulaires escrocs de la finance, la prostitution, ce vieux métier, aura bientôt dévoilé tous ses charmes après les nuits à se dégouliner le maquillage en cocktails mondains, à se frotter la croupe au plus offrant ; le visage craquelé d'une peinture mal séchée, son oeuvre atone des mécaniques répétées des nuits blanches, l'artiste et son art sont perdus, mais le sait-il quand le Dieu de la modernité tombe en pluie d'or sur ses membres ankylosés au lendemain d'une orgie ? Son âme au diable, il se sent enfin vengé de ses années de pureté, il jouit de comprendre la marche du monde, comme le profès sortant de ses voeux pour se rendre au premier bordel posé sur son chemin. Certaines âmes ne sont pas faites pour de longs sacerdoces ; et l'Art, s'il est encore quelque chose, n'exige rien moins que cela.

Luc avait reçu plusieurs visites du démon dans l'atelier qui jouxtait la maison bâtie quinze ans plus tôt, dans cette portion de sud aux environs d'Aix en Provence,  neuf ans après la naissance de leur premier enfant.

La première, huit ans en arrière, prit la forme d'un succube andalou, qui envoyait des déclarations fougueuses et des photos aguicheuses. La femelle, que le démon n'avait pas doté d'un cerveau apte à suprendre une intelligence même endolorie par les âpretés du travail sans autre vaniteuse satisfaction que de l'avoir accompli, stimula quelques mois, à coup de flatteries démentielles sur les beautés absolues, inégalables et inégalées de l'art de Luc, la complexion fragile d'un homme qui n'avait reçu jusqu'alors que la fidélité d'une femme, son désir, son amour, ses deux enfants, ses encouragements, sa droiture ; ses œuvres, d'après la chienne andalouse, étaient si belles au demeurant qu'elles lui provoquaient des mouillures et des insomnies quotidiennes, des extases et des désirs inouïs qu'elle voulait surmonter de quelques coups de langue et de large ouverture de cuisses auprès de l'âme torturée. Il accepta bien entendu le remède, mais la diabolique tentatrice ne se montra pas assez sophistiquée pour maintenir la pression de ses ventouses sur la proie désignée. Luc s'en décolla rapidement, mais de l'empreinte de cette visiteuse de la nuit, démasquée par Reine et assez vite écartée par Luc, demeura la marque rouge où circulaient les traits de la faute, du pardon et du repentir ; mais jamais cette marque ne sut disparaître, et elle était comme le craignait Reine, le signe d'une friabilité que le démon, dans sa grande labilité, saurait retrouver et mieux incorporer.

La première visite, comme on le voit, fut dramatiquement et comiquement classique ; la seconde fut beaucoup plus subtile. Le diable apprend et s'adapte même s'il ne possède pas d'emblée la force de la totalité qui fait tenir les contraires ensemble, que si l'on en croit Dieu, est le seul à posséder. Après son infidélité, il se jura d'écarter la tentation et de ne cultiver dans son for intérieur que les clartés d'innocence où son âme pouvait sans danger tourner son regard. Il fut à nouveau soutenu, encouragé par sa femme, conçut à l'aune de sa purification volontaire, un nouvel enfant, le second du couple, un ange d'amour et de beauté, et se remit à ses photos. Quelques collectionneurs se penchèrent et firent mieux que de se pencher, achetèrent les œuvres qui gagnaient en densité, en qualité de lumière, en composition, en choix de sujets. Son travail fut l'occasion d'exaltations et de nouvelles ascèses ; Reine, se convainquit alors qu'il pouvait se soutenir tout seul et retourna au sien de travail. Ils étaient au diapason, semblait-il. Mais quelques visites ponctuelles surgirent à un moment où il ne vendit plus rien, le diable s'adressant par un glissement de voix intérieure en ces termes :

« Ne veux-tu pas davantage ? Vas-tu travailler ainsi toute ta vie sans connaître frisson plus grand que cette existence austère ? Tu n'as pas l'argent que tu pourrais avoir, tu n'as pas les excitations d'ivresse qu'un artiste, qui a creusé le visage d'un drame de dédoublement absolu jusqu'à se défigurer lui-même pour obtenir ce résultat, prendrait sans demander l'autorisation, et cette femme que tu choisis elle-même solitaire et oeuvrant à ses écrits, cette femme qui au lieu de se mettre à ton service en assistante traditionnelle d'un homme qui voue sa vie à l'art, te laisse sans te déranger dans ton atelier, et tu t'évertues à ne pas la déranger quand elle s'y met aussi...ces compagnies de solitude au lieu d'une assistante à laquelle tous les artistes ont droit, nom de Dieu, toutes ces femmes si contentes à sa place de rappliquer quand tu leur sonnes les cloches, que ce soit pour lever leur jupe ou pour amener un verre d'eau et tenir la pose ! T'es eu ! T'es coincé, archi-coincé ! ».

Luc se persuada à cette première visite d'hallucination auditive, qu'une nouvelle épreuve lui était envoyée. Il se fit alors plus mystique que jamais et redoubla de travail, choisit d'intituler sa nouvelle série de portraits : « Saints et Martyrs ». Le démon lui sembla encore une fois éloigné. Mais Reine, qui avait décidé de ne plus s'inquiéter de ce qui désormais s'apparentait à un épisode passé et cicatrisé, ne fut pas attentive.

Elle s'adonnait, pour la première fois depuis quatorze ans de mariage à ses passions sans réserve, comme fatiguée de ne s'être pour l'instant réservée que des moignons de création, des miettes d'énergie picorées par l'intuition qu'un jour elle retrouverait Luc en train de se taillader les veines. Cet homme lui avait montré une voie d'intransigeance qu'elle avait introduite dans son approche de l'écriture écartant de son ancienne vie de parisienne un reste de frivolité. Et elle de s'appliquer avec la foi du charbonnier à l'élaboration d'une œuvre dont peu à peu, elle écartait les prudences, les modulations précautionneuses pour avancer, en même temps que sa réclusion volontaire dans les voix du silence à l'écriture, dans le contact primordial aux mystères, à son placement en extase à l'hypostase de la métaphysique, aux dolorismes euphorisants de la mystique vocation, à l'intraitable solitude qui enfante la solitude. Luc avait cessé d'être à ses yeux le mystagogue par lequel elle puisait ses forces et s'avançait en confiance ; dégradé de sa puissance, dans cette phase où elle se sentait plus que jamais en possession d'elle-même, il comprit à ses dépens que son amour, construit sur l'utilité réciproque de l'émulation et de la célébration d'un commun secret, s'éroderait dans la lucidité : Reine découvrirait tôt ou tard que Luc ne devait sa créativité qu'au poison d'une génétique bancale, d'une mère grenouille de bénitier et d'un père ne faisant du bruit avec sa bouche que pour manger. On l'avait élevé dans le linge blanc des enfants de choeur, dans le silence des tartuffes qui priant le Christ ont des bontés de principe et des tombereaux de rancoeurs rentrées. Et c'est là, que Luc apprit à mentir, à ne rien susciter qui puisse affecter la sainte famille. Et c'est là aussi qu'il fermenta ses haines, ses frustrations, qu'il se familiarisa avec le diable, un diable si doux, si tendre, si aimant, un diable familial.

Ainsi, le vice de conception, celui avec lequel on compose pendant des années, serpent couvé dans le sein du réceptacle, croît avec la particularité du caractère, épouse sa forme, creuse la complexion, lui offre des contreparties pour parfaire sa greffe en toute tranquillité au moment de la relâche, dans le sommeil et les rêves, les élans et les ébats.

Luc subit une décisive invasion six mois avant que Reine ne se transportât vers les secrets moins faramineux du Diplomate à l'exception de ceux qui concernaient les retournements de sa vie privée. Une âme recèle à elle seule plus de secrets que tous les échanges diplomatiques réunis.

Luc était à sa photographie : il observait les clichés les uns après les autres, ceux qu'il allait conserver et ceux qu'il allait condamner. Trois mois d'un travail intense, dont une semaine passée à suivre des nostalgiques de la chasse à courre, qui par miracle avaient échappé aux  fureurs des associations de défense de la cause animale pour s'adonner à cette sauvage passion pour rejetons tardifs d'une aristocratie périclitée. Ils avaient pris en chasse un chevreuil ; Luc était monté derrière un cavalier qui suivait la meute des hommes et des chiens. Et ce fut, comme pour quiconque a assisté à pareille scène, le retournement des entrailles à la vision de l'intolérable carnage après une cavale à travers bois à pourchasser une bête exténuée. La curée, cette mise en charpie des restes de l'animal livrés aux chiens, donna à Luc qui voulait capter la scène dans son appareil, des hauts-le-coeur, et il s'en alla vomir à quelques mètres de la vision charcutière. Il revint chamboulé, interdit, et comme Reine était tout à son écriture, il ne la dérangea pas de ce récit rapporté de l'enfer. Mais les images restèrent : les dernières respirations de l'animal, les viscères disputées par les gueules dégoulinantes de bave, les chasseurs satisfaits de leurs aristocratiques cruautés, tout ce monde ligué contre une bête, une beauté sauvage d'un seul coup souillée par la charognarde promiscuité humaine et ses séides canins, lui remontaient en acides obsessions dans l'oesophage. Le soir, il en rêvait, le midi, il s'écoeurait de son déjeuner, à la vision de son chien, il eut des hostilités, au contact de ses enfants, il ressentit leur fragilité et leur proximité avec la victime animale, au contact de sa femme, il éprouva la sensation d'être fort éloigné, plongé dans l'hypotypose ressassée et pourtant incommuniquée et incommunicable ; elle ne pouvait qu'après coup mollement compatir. Ce choc modela son paysage mental jusqu'à des identifications angoissées d'avec le chevreuil expirant peu à peu ; la chasse à courre se fit parabole en son esprit du monde humain.

Il regarda ses photos, les re-regarda dans un élan cathartique, et quelque chose qu'il ne s'avoua pas tout de suite, finit par s'imposer à lui : il les trouva belles. Les tripes sanguinolentes, les chiens jouisseurs, les clabauderies encouragées par les sadiques en tenue impeccable rouge et noire, les fraîches mines des porteurs de particules égayées au dernier soupir du calvaire animal : il trouva tout cela beau et se fendit même d'un sourire à la vue d'un chien tenant en sa gueule l'intestin déplié comme une saucisse.

C'est alors qu'il se terra dans le mutisme, une rétractation totale de la parole et une méfiance accrue pour les mots, les idées, les hommes, à l'exception de ses enfants. Ses paroles n'exprimaient que cynisme, dégoût, ses gestes de tendresse se firent rares.

Aucun mot, aucun don, aucun geste ne le touchaient plus. Et Reine ne put que subir ces mois striés d'angoisse silencieuse et de vociférations vomitives. Elle saisit mieux la présence de cet « autre » entre eux, de cet autre ou de cette larve opportuniste passant dans le sang et dans les signatures des lignées, cet autre invisible à l'oeil nu, confondu avec l'humanité même à force de s'y être incorporé.

 En revenant à Aix, Reine retrouva le regard insensible de Luc, son agacement à tout et pour tout. Et comme elle s'était faite la promesse qu'elle le sauverait, elle rampa trois mois durant dans sa boue d'humiliée, dans un amour sacrificiel où avant de partir le matin au travail, elle se lavait longtemps des insomnies, des mots tranchants, des regards désaffectés, des rancoeurs jobardes hurlées...et de retour le soir, elle se gardait une dose de misérable joie pour protéger ses petits du démon aux verdâtres vomissures.

Un jour, elle regarda ses bras. Ils étaient tailladés ; alors vint un nouveau calvaire pour Luc, sa femme et ses deux enfants qui assistaient impuissants à sa dégringolade : celui d'un séjour chez les fous que le corps médical jugea indispensable pour prévenir les récidives. Il fut drogué comme il se devait, il fallait calmer cette impétuosité brute, cette haine inextinguible, cette rage meurtrière ; mais Reine le savait, plus rien, rien ne le sauverait quand bien même son état pourrait montrer les signes d'adaptation sociale qui ne signent pas une guérison ; non, il fallait à cet homme, la cellule monacale, les prières et les purifications, les paroles rédemptrices, les récits des luttes contre les démons, des exorcismes puissants, il fallait à cet homme découvrir enfin son catholicisme dans la pureté et l'absolu de la parole qui l'avait fait surgir et non dans les hypocrites lueurs des messes basses  de son enfance ! Mais le démon, à son apogée, vainqueur déjà, s'y refusa. Et il refusa l'amour de Reine mais ne se priva jamais de la faire souffrir !

Un jour que le Diplomate appela pour prendre des nouvelles et se tenir au courant de l'avancée du roman, la pauvre qui venait une énième fois de recevoir les paroles fielleuses de ce Luc qui la tétanisait et pour lequel elle immolait sa santé, répondit d'une voix chevrotante qui fit sentir au bonhomme l'écho de sa peur ; il comprit alors la raison qui l'avait poussé à se confesser en dernier ressort sur les tourments de sa vie intime à cette femme : il savait intuitivement qu'elle aussi aurait à connaître la douleur d'un drame en préparation. Il avait tendu cette main quand Reine était revenue bouleversée de son petit « tour » pour téléphoner, et avait senti en elle toutes les souffrances qu'il avait lui-même traversées. Il n'ignorait pas, au seuil de la vieillesse, que rien ne réconforte les douleurs tranchantes des solides épreuves ; il n'avait que sa voix à offrir.

 

 

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