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18 février 2016

Synchroniques des miettes

Synchronique I.

En mon naufrage, le miroir du vôtre.

Je suis si lasse et si la plume ne me tenait pas par le bout du nez une nouvelle fois, je m'en serais remise à l'odeur de la défaite qui imprègne désormais chaque foyer, chaque atome de ce pays jusqu'à la nausée, ou plus vraisemblablement jusqu'à une progressive accoutumance où l'impuissance ne cause plus de souffrance. J'écris encore par un acte de dérision totale, guidée par la seule nécessité intérieure que le reliquat de maigre énergie au fond de la coupe bue jusqu'à la lie, laisse à la disposition d'un esprit bien rogné par le dégoût, l'amertume et la solitude ; j'écris comme si la maladie qui tétanisait la nation se refusait à moi au lieu de s'y inoculer paisiblement, fraternellement dans ce corps qui est le mien et pourtant affaibli ; ce corps si fougueux, cette prunelle que l'on disait vive, cette bouche gourmande de tous les mots, cette tête friande de la pensée sous toutes ses formes, et bien donc, cette apparence se rabougrit, vieillit prématurément : l'oeil s'affaisse, la bouche peine à former son sourire de malicieuse innocence, la tête s'éreinte à la visite de la pensée et l'écarte d'une main vigoureuse en la déclarant par avance « aporétique ». D'instinct, le silence s'impose, ou s'il faut le rompre, il faudra alors forer la surface de la surface qui n'est certes pas la profondeur mais la couche de mensonge sur laquelle aura pu s'édifier la devanture de la boutique des farces et attrapes en spectacle grotesque et effrayant de notre monde. Je suis lasse, la nuit et noire est en diable et il ne me sied plus qu'à moitié de jouer le sot métier d'écrivain.

Sera-ce long, court, me serais-je essoufflée avant que d'avoir rassemblé la somme de phrases, d'impressions, de réflexions que la situation de la France m'inspire ? Ou bien la situation elle-même viendra me démentir enfin et se dénouera bien vite ce qui pourtant se présente à mes yeux comme un moment inextricable ? Vois-je d'une vue troublée, dans la confusion de mes inquiètes projections nourries des faisceaux éblouissants des analogies de l'Histoire ? Possible. Possible encore que le brouillard épais du présent ne puisse être percé dans le présent par une paire d'yeux déjà bien perdue dans les lointaines conjectures de ses lectures, des limites de ses connaissances et de perception. Le lecteur ne peut donc se fier qu'à ma bonne foi, là où déjà mille et un fait ont désabusé sa confiance. Il se pourrait ainsi que cet écrit, comme tous ceux que j'ai déjà fournis, s'enfoncent dans le vide, dans l'oubli, dans l'inexistence, premier symptôme s'il en est un, qui pourrait déjà apporter une forme de preuve que le destin d'un individu est la relégation quand il ne s'applique pas à épouser l'informe creuset idéologique où s'unissent le mercantilisme, les relations mondaines et la norme imposée par les lois du divertissement dans un domaine qui en tout état de cause aurait dû lui échapper. Pas un de mes romans, nouvelles, récits n'auront trouvé grâce auprès d'un milieu qui comme tous les petits milieux du reste de la société française, évoluent sans oxygène et à l'abri de la lumière. Suis-je simplement mue par l'esprit de revanche ? S'écoule-t-il en moi le fiel de l'humiliée qui n'admet pas une défaite logique à en juger par la faiblesse de ses écrits ? Admettons, après tout, admettons que mes fictions ne comportent pas le moindre intérêt, acceptons l'offense comme la sanction d'une méritocratie où je n'ai rien mérité. Et remettons-nous à l'ouvrage, ce qui déjà suffira à justifier cette « synchronique » sur un plan personnel me dégageant de la posture de la fiction qui n'aura pas convaincu « les connaisseurs », à supposé que ceux-là m'aient un jour déjà connue ou ouvert un de mes livres ; admettons que je ne connaisse rien à l'art du roman ni de la littérature en général, que cette méritocratie ne récompense que le seul mérite. Dans ce cas, n'inventons plus et synchroniquons et l'on verra bien si mes yeux ne savent plus voir, mes oreilles entendre, ma pensée analyser. Et gageons que cette désespérante tentative d'objectiver, de rendre compte par des faits vérifiables, ne rencontrera pas plus l'assentiment de notre méritocratie qui saura encore une fois juger du peu de valeur que cette synchronique lui propose. Nous pourrons encore vérifier, pour ceux-là mêmes qui en doutent, que notre dictature se porte bien et que tous ceux qui la dénoncent n'auront pas voix au chapitre tandis que ceux qui s'y plient, soit molle résignation, soit persuadés de faire partie d'une « démocratie qui ne doit pas baisser les armes », soit inconscience, irresponsabilité, soit corruption morale (ou absence totale de préoccupation morale par prévalence de l'ambition personnelle sur le reste), soit naissance privilégiée, soit enfin, médiocrité commercialisable, ne rencontrent aucune sorte de difficulté pour rentrer dans le cercle gracieux des méritants de la méritocratie.

 Tous (ou presque) les personnages de mes romans finissent leur course par un exil. Ils partent purement et simplement de ce pays comme si la possibilité même de la vie ici n'était plus qu'un misérable souvenir ou moins consistant qu'un souvenir, une illusion pure et simple entretenue par un discours rodé et débité par des officiels sans la vie qui l'habitait, un peu comme ces musiques qu'on balance dans les centres-villes à Noël qui donnent un semblant d'animation, de vie dans les déambulations ; mais si on prête l'oreille, on s'aperçoit que les airs ne sont que les pacotilles de variétés entrecoupées de messages publicitaires incitant à l'achat. Vous ne pourrez donc rentrer dans l'ambiance qu'en déboursant, et si vous n'avez pas d'argent, vous pourrez toujours faire du lèche-vitrine avec un peu d'envie ; puis à cette envie, cette pulsion d'achat censée vous permettre de communier avec les autres, il se peut que vienne se substituer l'analyse : la variété balancée dans les hauts-parleurs est laide ; si vous pouvez accéder aux incitations des messages publicitaires, vous n'êtes pas libre, au mieux êtes-vous un nigaud sensible à n'importe quelle idiotie publicitaire, et pourquoi pas à une forme de propagande consumériste. Et si vous vivez en centre-ville, vous feriez tout pour que cette musique s'arrête, peut-être même tirer sur un passant attiré par les enseignes lumineuses tant cette légèreté imposée vous inspire de la violence comme n'importe quelle dictature délivrant sa propagande dans un haut-parleur sur un ton patelin, presque rassurant, et surtout : ces messages incessants incarnent l'enfer sur terre. Le monde est toc, votre pensée l'a découvert et ne peut plus désormais se décoller de cette vision. Voilà mes romans, voilà la triste découverte à laquelle ils conduisent tous.

Une artiste-peintre en échec dans un milieu de l'art dévoyé à de nombreuses compromissions, un homme défait par l'antisémitisme ambiant ou bien la seule perspective d'accumuler de l'argent dans une boîte à fric, ou encore un autre personnage obligé de fuir la civilisation dans une île perdue du Pacifique...Il est étonnant, vu les circonstances, qu'aucun de ces écrits n'ait trouvé ne serait-ce qu'un éditeur cynique souhaitant faire mouche avec un livre dans l'« air du temps ». Je ne me suis jamais cachée du reste de mon intention de planter le décor dans l'étouffoir contemporain pour y faire s' exhaler les infects remugles ; je n'ai jamais non plus manqué de prêter à chacun de mes personnages une vie de la pensée, chose qui à la vérité doit sembler insupportable à un éditeur qui ne voit sans doute plus l'utilité de prêter un discours un peu construit à un être humain, fût-il fictif. Une aventure de la pensée dans un contexte où elle a presque disparu, ne peut qu'être considérée que comme une défaite nouvelle de l'art.

L'art a vécu, mais s'il n'y avait que cela !

Qu'à cela ne tienne, parlons du reste, des restes ! Ma vie ne vaut rien après tout, mes livres non plus. Quitte à geindre, geignons sans laisser traîner nos yeux et nos oreilles dans l'orifice de nos déambulations morbides d'écrivain sur le carreau. Usons de ce qu'il nous reste de méchanceté pour être exact si nous le pouvons !

Ouvrons la gueule à tous les fiels !

Le bal est ouvert.

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