Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
contempo-reine
contempo-reine
Publicité
Archives
Pages
Newsletter
21 octobre 2015

Le corps à l'âme : version papier.

Le corps à l'âme, roman délivré en feuilleton pour le blog, est désormais un livre papier.

Pour le commander, c'est ici : 

 

Le corps à l'âme de Reine Bale sur TheBookEdition.com

Le livre Le corps à l'âme de Reine Bale sur thebookedition.com - créez, éditez et publiez votre livre en ligne

http://www.thebookedition.com

L'histoire :

José, un grand débauché au seuil de la mort, décide de réparer une faute anciennement commise avec une jeune femme qu'il a aimée : Rachel. Il laisse un testament dans lequel il lègue une partie de la revente de sa maison et une lettre où il formule ses regrets de n'avoir pas su être à la hauteur ; il demande à Nadia, son aide-soignante, de retrouver Rachel qui est partie il y a bien longtemps. A la mort de José, Nadia se voit confier un petit carnet par le notaire dans lequel il confesse ses fautes. Voici donc un extrait du carnet de José.  

 

Le corps à l'âme, fiction, épisode VII.

Le carnet de José, in extenso, lu par Nadia dans les craintes et les tremblements.

"Première faute.

Demeurant la plupart du temps chez ma mère, je passais une enfance à m'ennuyer. Pendant les vacances, mon père m'accueillait chez lui par devoir ; mon existence ne l'intéressait pas beaucoup, étant définitivement associée à celle de ma mère dans son esprit. L'autre femme, ma belle-mère au rouge à lèvre, avait déjà une autre fille d'une précédente union d'un an de moins que moi : Odile. Jusqu'à ses 14 ans, je la trouvais parfaitement exaspérante, tout comme ma belle-mère d'ailleurs, qui outre son rouge à lèvre, n'éveillait en moi aucun élan de sympathie. Odile, même avec ses seins pointant sous son tee-shirt, ses lèvres elles aussi discrètement maquillées, n'était au mieux qu'une fille quelconque au moral comme au physique ; petits yeux enfoncés, nez vulgairement dessiné, ayant comme transpercé la fente des orbites après une violente tectonique crânienne, et surtout, bête à pleurer, confirmant le diagnostic génétique intuitif et très orienté de ma mère : le sang qui coulait dans les veines de cette créature, comme celui de la femme qui l'avait engendrée, avait viré au vinaigre. Pourtant, dans ce contact que je fuyais avec un mépris authentique, mon esprit "supérieur" refusant de considérer le sien avec plus de mansuétude, naquit le goût du rabaissement. Comme si de dépit, mon âme nourrie de spiritualité élevée, de culture permanente, ouvert aux appétits d'absolu, n'ayant devant lui qu'un petit repas de cantine, éprouvait le besoin de se venger, non pas en éloignant l'assiette avec le dégoût aux lèvres, mais en bâfrant cette pitance vulgaire, en en mettant partout, salement, sur moi-même et sur mes voisins de table, au lieu d'attendre, quitte à ressentir un peu la faim, le plat de plus haute gastronomie. En goûtant ce qui rabaissait mes goûts, je cherchais encore à m'en démarquer, à plonger un cran au-dessous d'elle pour aller, s'il fallait aller dans l'abjection, dans un absolu abyssal à défaut d'élévation, surtout ne pas m'arrêter sur l'échelon de la médiocrité. C'est ainsi que très jeune, je m'aperçus que ma mère, pourtant irréprochable de droiture, travaillant dur pour m'élever seule, veillant scrupuleusement à ma réussite scolaire, à la propreté de notre petit appartement et de mon linge, à m'organiser une ou deux fois l'an une jolie sortie culturelle au théâtre ou au cinéma, à songer à mon instruction religieuse en m'envoyant au catéchisme, à ne vivre jamais pour elle-même excepté le dimanche après-midi qu'elle livrait au repos, à la lecture de magazines, à la promenade, mais seule, définitivement seule, ma mère donc, ne recevrait aucune récompense pour toutes ses bonnes actions ni du ciel qu'elle priait ardemment, ni de de sa vie terrestre, partie réservée à remplir ses devoirs. Heureusement que son esprit s'accrochait à l'idée du paradis comme le naufragé nage jusqu'à épuisement au milieu de l'océan en quête d'un bout de bois flottant à quoi s'agripper. Elle avait de la sagesse, c'est à dire que son ennui était absolu.

Mes conclusions commencèrent à prendre la clarté des observations qui pénètrent le brouillard et se figent devant un objet aux contours nets, s'en dégageant distinctement à force de concentration. J'étais beau : vers quinze ans, les filles me regardaient avec intensité et me procuraient ce sentiment de puissance qui allait devenir l'instrument de mon rabaissement, outre d'autres qualités intellectuelles qui me firent devenir un brillant ingénieur à la grande fierté de ma mère, mais, pour ce qui concernait cette revanche contre la médiocrité de toute mon enfance, de l'ennui que me procura la vertu où ma mère fit tourner son sang dans une leucémie qui la tua, c'est la ruse de mon intelligence qui me fut le plus utile et non ses vertus métaphysiques.

Odile avait des seins qui me collaient des érections car derrière le tissu, je pouvais deviner une poitrine propre à éveiller la volupté de n'importe quel homme sensible à cette partie du corps féminin ; ils avaient grossi en un été de façon prodigieuse et le jeune homme que j'étais, n'en pouvait plus de soupeser mentalement ces deux bijoux ; mais là encore, comme pour le rouge à lèvre de sa mère, ce qui m'excitait était le mélange d'offense morale et d'attirance propre à mon éveil. Ma demie-soeur allait donc sur ses quatorze ans et moi sur mes quinze. C'est un été qui nous a réunis. Mon père adorait la pêche et il nous emmena loin de Paris, dans le Lot où sa mère lui avait légué sa maison. J'y emmenais mes livres, laissais ma mère en banlieue qui se morfondait de me voir partir chez "le traître" pendant que la part d'amour à laquelle chacun aspire, pourrissait dans les replis d'amertume que ses ratiocinations avaient fixées. J'étais puceau. Ma belle-mère me détestait sourdement -même si haine fabriquait en moi l'énervement de l'excitation-. J'étais indifférent à mon père et cette portion d'été promettait d'être aussi ennuyeuse que les précédentes, à ceci près que comme toujours j'échappais à la vigilance de ma mère, son souci de linge propre, ses messes dominicales, et son humeur sombre. Dans le Lot, on me foutait la paix. Et le seul hic était pour moi cette Odile que je trouvais bécasse à claquer. Elle ne lisait rien, ne s'intéressait à rien à part ses chiffons ; je me demande comment mon père pouvait faire sienne cette fille dotée d'une intelligence à peu près aussi grande que celle des amphibiens qu'il levait quand il plongeait sa canne à pêche dans les belles rivières du Sud-Ouest. Mais il y avait ses seins qui d'année en année prenaient du volume et l'intérêt croissant qu'elle manifestait à ma personne. Odile devenait provocante en diable. Chaque jour, je m'éloignais quelques heures de cette famille décomposée pour un endroit où je pouvais lire tranquillement à l'ombre des arbres, prendre le soleil quelques instants avant de me glisser dans l'eau fraîche de la rivière.

Ce jour-là, elle demanda à me suivre, demandant à sa mère l'autorisation d'une sortie pour laquelle mon avis n'était pas plus requis que celui du laquais dans une maison où il est employé. Je dus supporter sa présence.

"J'ai pas envie d'attendre que vous soyez prêts pour aller me baigner." Elle avait l'habitude de mon silence et ne s'étonna guère de ne pas me voir échanger un mot avec elle pendant le court trajet qui nous faisait traverser un petit chemin de terre et un champ. 

"Voilà, on y est".

Elle étala sa serviette, je fis de même et sortis mon livre. Alors que je m'étais placé à l'ombre, elle se colla en plein soleil et déjà, sa présence, même indifférente, me gênait. Elle s'allongea sur le ventre, la tête tournée à l'opposé de mon regard, et retira le haut de son maillot de bain. Je ne l'avais pas vu faire tant je m'étais promis d'agir exactement comme si elle n'était pas là puisque sa présence m'était imposée. Je pus m'apercevoir du fait accompli quand je décidai de piquer une tête après quelques pages de lecture. J'étais évidemment très perturbé mais je ne voyais pour l'heure qu'un dos nu. C'est au sortir de la rivière que je pus voir qu'elle s'était retournée, qu'elle était accoudée à sa serviette et que ses seins me torpillaient comme deux obus. Ma pensée ne s'embarrassa pas alors de certaines considérations morales qui auraient calmé quelques élans, étant donné que c'était ma demie-soeur ; mais deux seins sont aussi efficaces à faire tomber une forteresse morale pour un jeune esprit, que l'infusion d'austérité où il a trempé s'avérait inutile. Je la bouffais, je lui dévorais les seins comme un homme qui en plein désert se retrouve face à une source. J'étais intarissable. Et elle prenait en elle tout ce que ma fougue de jeune homme contenait de vigueur. Elle n'avait pas l'air bien expérimentée, et il me sembla après coup assez fou qu'elle m'eût offert l'unique centre d'intérêt que mon imagination plaçait en elle. Mais ce fut le cas, et ce le fut les jours qui suivirent. Sans arrêt, à tout moment. Je pétrissais ses seins, ses fesses, et sans penser aux conséquences, je la pénétrais, jouissais en elle, venais dans sa chambre le soir, en sortais sur la pointe des pieds, au moment de la sieste de nos parents respectifs, je la retrouvais, le soir quand ils allaient en ville faire une course. Affamés, deux affamés sans paroles, sans même des échanges de caresses très tendres. Toute l'éducation visant à discipliner nos instincts s'était abolie dans la répétition de ce geste plus fort que toute précaution utile. Je ne la trouvais ni plus belle ni plus intelligente, mais simplement existante dans une enclave à l'arrière du coeur, plus essentielle que le coeur lui-même, un autre coeur où se logeait une vie plus souterraine et plus puissante, une vie qui n'était ni celle de l'âme, ni celle de l'esprit, ni même celle du corps habilité à marcher, à manger. Une vie plus que la vie, une vie qui s'immergeait dans le ballet secret des atomes et régie par des lois qu'aucune Loi ne pouvait estourbir. Notre prudence ne fut pas déjouée et je la quittai à regret à la mi août pour finir les vacances auprès de ma mère ; Odile camoufla comme elle put son désarroi à mon départ. Nous convînmes de nous revoir bien vite. Je me débrouillerais pour la voir.

Odile retourna aussi dans sa banlieue où elle habitait, à une heure de chez moi par les transports en commun. C'était l'été et je prétextai un tour en vélo pour sortir de l'appartement. J'en profitai pour ramener un livre à mon père, alibi improbable pour un jeune homme qui n'allait jamais de son gré le visiter. Quatre villes traversées, deux heures à pédaler : je ne montrais jamais autant de volonté dans ma vie que quand j'avais à rencontrer une personne du beau sexe. C'était en semaine et il était à son travail ; ce fut la belle-mère qui m'accueillit avec un sourire faux et me fit entrer de mauvaise grâce. Elle me donna un jus de fruit et m'assura que je pouvais rester même si elle s'en allait voir une amie. "Oh, je reprends mon souffle et je repars" dis-je sur un ton de détachement affecté ; "Je peux choisir un autre livre ?" "Oui, bien sûr" etc...enfin, après ces politesses obligatoires dont je me serais bien passé, elle partit.

Du deuxième étage de ce pavillon de banlieue, je vis surgir la silhouette d'Odile sur laquelle je fondis immédiatement. Elle recula, alors que mes mains étaient déjà placées sur ses seins.

"- Qu'as-tu ?

- J'ai du retard...Je n'ai pas mes règles. Tu vois ce que j'ai, maintenant ?

Le ciel me tombait sur la tête ; comment était-il possible que nous n'ayons pas envisagé une grossesse avec des étreintes plusieurs fois par jour ? Nous étions jeunes, voilà tout ! Mais elle n'avait pas quinze ans, ou à peine, à une époque où l'avortement n'avait rien de légal ; en 1955, il fallait passer par les aiguilles à tricoter ! Et j'étais son demi-frère par dessus le marché ! D'un coup, ses seins, ses fesses, ce feu dans nos reins, s'éteignirent comme sous la première pluie d'orage à la fin de l'été. J'étais hébété, interdit :

- Qu'est-ce qu'il faut faire, maintenant ?

- Je dois en parler à ma mère.

- Quoi, tu es folle ! On est parents je te rappelle ! Il doit bien y avoir un moyen de se débarrasser de ce...

- Et comment ? Une avorteuse ? Je devrais la payer ! Et je n'ai pas un rond ! 

A cet instant, le destin de la pauvre Odile me parut moins essentiel que ma tranquillité et ma peur du scandale. D'imaginer un foetus dans ses entrailles me retournait les sangs de dégoût ; je la vis brutalement à nouveau comme la fille que je trouvais bête, insipide et son visage qui m'annonçait cette grossesse me parut encore plus vulgaire que par le passé. Le désir avait été peut-être plus fort que tous les instants de la vie passés hors de son antre magique, mais une fois ressorti, la pierrerie dont son sol était jonché, avait une apparence de toc. Plus rien ne me touchait chez elle et si j'avais pu, je l'aurais tuée pour m'en débarrasser. Le désir était aussi faible qu'il avait été fort. Le ressentiment était proportion du désir et de ma dégradation dans ce désir. Je la haïssais de m'être avili en elle.

- Bon, fais comme tu veux, mais jure-moi de ne pas prononcer mon nom dans cette affaire. Si tu dis un mot sur moi, je nierai tout ; pense à ce qui va se passer si les parents savent que c'est moi ! T'as qu'à dire que c'est un gars qui t'a forcée quant t'es allée te balader et qu'il t'a prise dans un coin sombre, que t'as pas pu le voir etc..." Je n'aspirais qu'à décamper et à la laisser seule avec son problème. Après quelques larmes qu'elle versa et quelques promesses qu'elle me fit, je me forçai à lui donner un baiser, assuré de son silence, la laissant seule à son sort, non sans la rassurer hypocritement avant d'enfourcher mon vélo sur le fait que je ferais attention à elle à l'avenir etc...

Je m'en rentrai chez moi, repris fin septembre le chemin du lycée et n'en entendis plus parler pendant deux ou trois mois. Ma conscience a eu toujours cette capacité d'effacer ce qui encombrait la morale.

Incidemment, au cours d'une conversation avec ma mère à l'approche des fêtes de Noël qui pour elle représentait toujours une nouvelle occasion de fustiger la rapiacerie de mon père (qui ne m'envoyait pas de cadeau), ma mère m'apprit qu'Odile avait été gravement malade, et avait même frôlé la mort :

"Evidemment, cette soi-disant septicémie doit être le fait d'une faiseuse d'ange, car dans cette famille, la fille à l'image de la mère doit être une sacrée marie-couche-toi-là (...) ! "

Ainsi j'apprenais qu'Odile avait subi un avortement terrible avec pour conséquence de la rendre stérile, et que je n'en m'étais pas préoccupé une seconde ni en pensée ni en acte, ne songeant pas le moins du monde à sa santé morale ou physique. Ces paroles auraient dû injecter en moi une once de culpabilité que je commuais en mépris ; j'avais ainsi presque envie de rajouter une horreur à ma mère qu'elle aurait, toute pieuse qu'elle était, accueillie peut-être avec joie, je brûlais de lui dire :"Je t'ai vengée, maman, le poison qui a failli l'envoyer dans l'autre monde, c'est moi qui lui ai injecté ; ton ancien mari, mon père, n'a plus qu'un fils et sa frauduleuse alliance est sanctionnée par la stérilité d'Odile." ; ma mère qui priait à l'église tous les dimanches m'aurait-elle maudit ou bénit ? Les principes de droiture qu'elle n'avait eu de cesse de me répéter, auraient-ils trouvé matière à redire dans le poids disproportionné que la haine vis à vis de l'homme qui l'avait abandonnée pour une autre, pesait dans la balance ? Je me suis tu. Si j'avais enfreint ce silence, j'aurais eu une chance de vérité. Mais j'ai laissé l'écheveau complexe des relations et des mélanges contraires de saleté et de pureté, de haine et d'amour, se troubler. 

Ainsi en alla-t-il toujours de mes fautes : sans les préméditer, je m'arrangeais toujours pour qu'elles arrangeassent quelqu'un ou un système ; ainsi ne pouvaient-elles être clairement dénoncées ni par moi ni par un autre. Une fois dégagé de tout soupçon, un homme qui n'a pas eu à rendre des comptes dès son premier forfait, sera perdu à tout jamais, répétant le risque impunément, s'imaginant que ses actes quels qu'ils soient, seront recouverts d'une enveloppe protectrice surnaturelle. Et à chacun de ses manquements, il se sentira renforcé, invincible, l'orgueil se logeant au coeur même de sa faiblesse. A quinze ans, j'étais déjà perdu. Evidemment, je refusai l'année suivante de voir mon père, ma mère en tira grande victoire. J'avais selon elle pris conscience de la noirceur de l'âme paternelle." 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité