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4 mars 2015

Work in progress

Chers lecteurs, comme vous le savez, je suis en plein travail en ce moment : un roman, que je veux ample devra sortir de cette cervelle, même si plusieurs années seront nécessaires avant d'y apposer le point final. Mais, fidèle à mon blog et à ceux qui viennent le lire, au sens du partage entre l'écrivain et ses lecteurs, j'avais envie tout naturellement de mettre à la disposition des esprits curieux, les premières pages de ce roman en cours qui aura pour titre : L'odyssée des apatrides. Voici :

Une odyssée des apatrides.

 

"Chapitre premier : De l'écriture à l'écriture.

 

Qu'avais-je à voir avec sa vie à elle, la vie d'une femme aux antipodes de la mienne ? Pourquoi le Destin m'a-t-il introduite et pas ailleurs ? Quelle est encore cette énigme posée en travers du chemin que l'on ramasse, regarde sous toutes les coutures, qui nous rappelle des formes connues mais, qui placées hors de notre univers physique, semblent transfigurées jusqu'à l'étrangeté inconnaissable ? Le hasard, comme ce nuage qui passe, nous rappelle un animal, une chose, puis s'étire et poursuit sa course : ce n'était même pas un signe, mais une projection de ma mémoire sur cette forme fugace...Et peut-être suis-je tentée de retenir l'image fugitive par l'écriture, de prêter une intention à cette forme incidente qui ne fit que passer devant mes yeux et dont le sens, hors de cet alignement de mots, est improbable voire inexistant ; je n'ignore rien de ce risque, et même du mensonge qui pourrait advenir.

J'avais songé à un début tout en fiction, tirant l'expérience par les cheveux, la moulant à mon gré, me vengeant en somme de la résistance du réel qui, de la vie à la mort ne nous offre pas tant à voir ; même la plus riche, la plus mouvementée des existences est menée à l'aveugle, la plupart du temps, et ne vaut pas tant le détour. Ce qui la rend salée est le moment où son récit prend la proportion des folies, la décision du seul contre tous ou contre soi-même, « Mon royaume pour un cheval », cette partie du jeu où le destin est à la mesure d'un mythe, une totalité de raison et de folie, de bien et de mal, le moment où le Roi Lear avance sur la lande désolée escorté de son seul bouffon, coupable et innocent, vaincu et grandi dans la défaite de ses erreurs, prêt à mourir ou à renaître, selon sa force la clémence ou non du destin. Hors ces culminations, la vie d'une honnête personne évoluant sous les cieux augustes de la paix d'Occident, semble au moins emprisonnée dans le présent, ou dans la fuite en avant, dans l'agitation qui sied à la vie contemporaine, à la vie tout court si l'on en croit les sages qui nous ont précédés. Ou bien, comme on ne peut voir que rétrospectivement, -en tirant délicatement le fil enroulé dans la bobine de la conscience-, nous voyons trop tard : nous sommes alors vieux, et tout le profit que nous pourrions tirer de cette vision lucide, se retourne contre elle-même et aggrave la douleur de mourir.

Oh, je commence fort ! Il faut dire que la mort a une grande part dans cette rencontre. La mort en est peut-être même la quintessence ; de cela, il sera question, du premier voyage, premier mot au dernier.

Et ces pages pourront-elles démêler enfin une partie de l'énigme d'une vie qui n'est pas la mienne, de la mienne, de notre rencontre ?

Mais de quoi, de qui je parle à la fin ? Va-t-on nous dire où l'on nous mène ? On n'ouvre pas un livre pour éprouver ce que nous savons tous à différents stades de la vie et que Macbeth résume en un monologue : tout ceci n'est qu'une fable racontée par un idiot etc...

 Une chose pour commencer, peut-être et pour nous éviter l'irrémédiable sensation que les mots n'auront pas pu retenir l'une de mourir et l'autre de rester avant que de la rejoindre un jour : voilà ce qui restera, une impossibilité de dire la mort au moment où elle nous arrive ; et c'est ce qui rend le langage si dérisoire et si crucial, si cruel et si émouvant ; il est si fragile de notre fragilité, si fort de nous survivre !

Une chose pour commencer, donc. Laissez-moi prolonger les commencements car eux aussi ne sont d'aucun langage ! Personne ne pourrait décrire sa naissance non plus que sa mort, n'est-ce pas ? Et tout est là pourtant...le reste...ce qui se dit...reste et restera bien moindre à tout ce qui se tait ! Je reprends encore ; je ne suis pas Dieu et n'ai pas le pouvoir de créer aussi vite que je parle ; mon verbe n'est pas le Verbe ! Il me faudrait peut-être dix ans avant que d'écrire une phrase, non pas agissante, mais « vraie », comme on recopie une formule secrète déposée en ce monde depuis des millénaires ! Est-il quelqu'un de plus misérable qu'un écrivain, lui qui s'est paré de toutes les vertus mystiques, lui qui s'est chargé, par son sacrifice, de se faire dépositaire de toute la démesure humaine alors que son travail acharné ne lui donnera à approcher qu'une fois ou deux dans sa carrière, le calice où s'est déposé le sang mystique de la vigueur éternelle ? Des siècles de vaillants travailleurs, des paroles déposées dans des écrits qui pèsent plus lourds que le poids de la terre elle-même, pour quel résultat ? Même les écrivains ont lâché Prométhée et l'ont laissé se faire dévorer le foie pour l'éternité ; désormais, ils veulent vendre, jouir d'un statut et surtout rentrer dans la compétition des miroirs qui consiste, farce contemporaine oblige, à prendre la position la plus réfléchissante, c'est à dire se placer sous l'angle où leur image, tout comme le jeu du ricochet, rebondirait de miroirs en miroirs en un maximum d'impacts. Moi, je suis de la vieille école : si tous les mots écrits m'avaient amené un centime, je serais riche. Oh, je ne dis pas que je n'aurais pas aimé qu'on m'aime à ma place, qu'on m'aime pour ce que je ne suis pas et s'il m'eût été donné par surcroît de gagner ma croûte avec de si faibles efforts, je n'aurais pas fait de manières ; je serais devenue la poule à cocktails mondains que mon fleuret d'escrimeur aime volontiers balafrer, par frustration autant que dégoût, pimbècherie autant qu'idéalisme.

Voilà, j'ai vidé mes poches et mon sac : j'ai circonscrit les limites entre lesquelles mes ailes déjà atrophiées vont péniblement se déployer. Je vais dire ce qu'il m'est possible de dire sans me prendre pour Dieu, mais un de ses atomes déposés ici ; alors, laissez-moi accomplir ma petite révolution sur moi-même comme n'importe lequel des atomes qui voguent dans l'univers. Laissez-moi, dans ce système où tout le monde est le centre de tout le monde et où le centre n'est nulle part, prendre à moi un ou deux satellites qui un instant ont été attirés par le pauvre astre que sont les mots ; laissez-là, elle reprendre à travers moi, le visage qui la fit se tourner vers le mien, par la loi physique peut-être de la gravitation universelle.

Ainsi...

 Nous étions toutes les deux des femmes de notre temps, des femmes connectées à des réseaux pour des raisons dissemblables. Facebook ; un livre à visage couvert, un bal masqué où chacun choisit son épiphanie : elle peut être provocante, naturelle, effacée, neutre ; un jeu où comme tous les jeux nous plaçons nos passions bien réelles pour gagner ; gagner à être vu, entendu. Dans cette partie qui nous fait mouvoir comme des atomes isolés les uns des autres et pourtant interdépendants, nous pourrions tourner autour de notre propre axe sans jamais nous laisser aimanter par la zone de gravitation des autres ; et pourtant, il faut croire que le chaos présente autant de fréquence, ou se situe dans une autre fréquence qui a au moins autant de réalité que la loi intangible que les physiciens d'ailleurs, s'accordent tous à réviser, car sinon comment expliquer que nos trajectoires se soient frottées jusqu'à sa mort ?

C'est par là que nous nous sommes trouvées, comme tant d'autres. Le virtuel n'existe pas, même derrière un écran. Tout finit par transparaître de nos affects, de nos âmes, de notre état du moment, même dans la démarche apparemment la plus désaffectée qui tente de placer l'intimité à bonne distance de l'exhibition d'un réseau virtuel. Je pourrais nommer les idées politiques, les joies, les tristesses, les espoirs de la plupart de mes contacts facebookiens que je n'ai pourtant jamais rencontrés dans le réel. Dans le langage propre à ce monde, chaque personne se réinvente en personnage qu'il décline au gré de ses « statuts » ; outre l'intérêt de la dénomination, défilent, au gré de ces statuts, des rôles que n'aurait pas dédaigné d'observer un Balzac comme autant d'études possibles pour une gigantesque Comédie humaine. Chacun essaie de tenir au type qu'il a choisi d'adopter pour se singulariser dans la masse : là, un Rastignac. Il s'affiche modeste, mais mordant, il s'approche lentement mais sûrement de ceux qui comptent, montre de l'initiative et de la patience. Une autre passe son temps à changer ses photos de « profil » essayant de capter son visage sous l'angle le plus favorable, permettant à la séduction qui lui reste à quarante ans passés, d'exercer encore un petit miracle : des hommes, majoritairement, viendront déposer un « like », signifiant qu'ils apprécient, qu'ils saluent, qu'ils sifflent, ou plus encore qu'ils s'excitent devant une apparition féminine. Ouf, la débâcle est encore loin...et peut-être ne viendra-t-elle jamais...

Facebook est peut-être devenu la capitale du monde d'aujourd'hui comme la Vienne du monde d'hier. On s'assoit à un café dit « virtuel », on y place sa conversation ; quelqu'un viendra-t-il nous parler ? Quelqu'un reconnaîtra-t-il enfin qui nous sommes vraiment et que même la plus proche des personnes ignore ? C'est ce que nous souhaitons secrètement quand nous nous lançons à l'assaut de cet énorme boulevard où, comme des jeunes filles s'apprêtant à effectuer leur première sortie dans le monde après avoir passé plusieurs années dans un couvent, nous progressons dans la foule, excités et maladroits... oui cette foule qui nous attire et nous fait peur, cette masse informe que nous quittons et à laquelle nous revenons pourtant, bien que nous crûmes échapper en proclamant haut et clair notre individualité.

 

Depuis des années, j'écris.(...)"

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Commentaires
R
Jean, votre commentaire me frappe de sa justesse ; le roman en cours d'écriture traite de tous ses aspects, du moment où l'on se retourne et que l'on ne comprend plus rien à la vie qui s'est déroulée. Merci infiniment pour l'apport intelligent de votre réflexion.
M
J’aime bien lorsque vous écrivez que : « La vie la plus mouvementée est menée à l’aveugle. » Il n’y a rien de plus vrai ! À un moment donné, on prend une décision et une cascade d’événements incontrôlables nous entraîne par des chemins dont nous ne soupçonnions même pas existence. Nous sommes convaincus d’être du bon côté de la barrière. Et un jour tout change. Le monde bascule. La barrière disparaît et l’on se pose une question : À quoi a servi tout ce que j’ai fait ? Notre fonction n’existe plus. L’État nous vire. Tout ce que nous avons fait doit disparaître. Politiquement pas correcte déjà à l’époque et maintenant inconcevable. Les adversaires ont changé. Alors, on se demande si pendant toutes ces années nous étions du bon côté et si ce que l’on nous a fait faire été bien ou mal ? J’en arrive à votre description des Facebookiens, redoutable et tellement vrai. J’y ajouterais les désabusés comme moi, devant la tournure que prend le monde. Que ce soit la politique, la finance, les multinationales et le monde du travail. Les gens comme moi sont si dégoûtés qu’ils se moquent de tout, mais rirent de tout aussi et se détendent en venant sur Face book, plutôt que de s’accrocher à se battre pour défendre des idées qui seront demain de fausses vérités. Vous devez penser que c’est bien triste de ne plus avoir d’idéal. Non ! Je regarde seulement d’une autre manière ! <br /> <br /> Merci de nous faire profiter de votre style d’écriture dynamique et n’ayons pas peur de parler de la mort ! Bonne continuation, Reine.
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