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16 janvier 2015

Chapitre VIII- début (avant-dernier épisode)

Chapitre VIII ; début, Une issue sans voix

"Pierre se tenait tout près de Benoît, son intercesseur auprès de Rachel. Les émotions tintinnabulaient dans sa tête au son de cet irréel échange entre Rachel et Benoît qui allait le faire entrer par effraction dans un présent à la fois joint et disjoint du passé, comme le sommet de la colonne est à la fois lié et séparé de la base : c'était donc elle, à l'autre bout du fil, la femme éloignée de lui depuis seize ans qui apparemment ne parvenait plus à dire un mot à Benoît qui attendait une réaction, une réponse.

Et là, Pierre, qui de toute façon avait précipité le déroulement des événements comme jamais en l'espace de quelques heures, commença à trouver stupide, mais surtout insupportable de devoir attendre l'assentiment des uns et des autres pour obtenir ce qu'il souhaitait ; l'intuition fulgurante, l'évidence que la vie exigeait que l'on se conduisît comme un voleur, que c'était même un devoir contre la fatalité, le sens du combat biologique que les cellules livraient à la mort, à la décomposition, vrillèrent ses mains qui étaient étrangement pénétrées de ses pensées au moment où la droite arracha le téléphone à Benoît. Et pour empêcher de celui-ci une tentative de récupération, il s'enfuit à toute allure dans le couloir, ouvrit la porte et descendit quelques marches...Benoît pris de court, ne put que bêtement constater la déraison de son ami, fâché, et le suivant vainement sur les marches..."Pierre ! Enfin !" Mais Pierre ne l'écoutait déjà plus ; essoufflé sur les marches, il essayait d'apaiser sa respiration pour entendre le silence de Rachel.

"Rachel, c'est moi...Pierre.

- Oui, Pierre..."

Deux mots, deux petits mots sortis comme d'un esprit d'outre-tombe, et il sentit le sortilège de sa voix légèrement rauque agir sur sa peau comme autrefois quand ses doigts se faufilaient dans ses cheveux avec un petit rire qui lui collait des frissons : Rachel n'était pas morte en lui. 

- Laisse-moi te voir...je t'en prie.

- Non, j'ai failli en mourir, il y a seize ans.

- Je comprends, Rachel, mon Dieu, si tu savais comme je regrette ! J'ai besoin de ton pardon ! ...Je n'aurais pas dû partir, alors. Ne me dis pas que nous ne verrons plus jusqu'à notre mort...

- Je m'étais préparée à ne plus jamais te revoir, Pierre. J'ai attendu bien longtemps ; cette attente m'a tuée, ton silence m'a ravagée. Je suis déjà morte d'une certaine façon. C'est triste, mais c'est préférable aux souffrances que j'ai endurées.

Benoît, posté en haut de l'escalier, poussa un soupir d'impuissance et entra dans son appartement, laissant la porte entrouverte.

- Mais alors, Rachel, si tu refuses de me voir, même si c'est tard, même après seize ans,  je peux te dire que pour moi aussi tout ce qui suivra dans cette vie, n'aura aucun sens, alors qu'il existe, j'en suis sûr, une possibilité de guérir pour toi et moi !

- Mais pourquoi avoir attendu seize ans dans ce cas, Pierre, pourquoi ? Pourquoi, pendant que je souffrais, tu te mariais avec une autre, tu avais deux enfants avec elle, tu continuais ta vie en m'ayant effacée de la tienne ? Pourquoi si longtemps sans te demander ce que je devenais, moi ?

- Il s'est passé des choses qui ne s'étaient pas produites avant ; je veux t'expliquer tout ça, laisse-moi te voir au moins ; sache qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps ; demain, première heure, je dois me rendre à la police pour certaines de mes actions..

- Quoi ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

- Rachel, ce serait vraiment plus simple si je te voyais...

- Bien...j'ai un fils...

- Je sais, Benoît m'a dit.

- Je n'habite pas très loin, à Ventabren, à dix hilomètres d'Eguilles, de là où nous habitions autrefois ; je suis dans la rue Grande au numéro 14, tout en haut du village ; gare ta voiture en bas. Depuis Aix : 20 minutes.

-J'arrive."

Il monte quatre à quatre les marches, retrouve Benoït sur son canapé, expectatif, lui envoie son téléphone qu'il attrape au vol et dans un sourire, lui fait comprendre qu'il doit partir. Benoît ne réagit pas.

A nouveau les kilomètres, la nuit, la route vers la lumière ou une nuit encore plus épaisse : il n'en sait rien. Ainsi se présentent les grands changements à nos yeux presque aveugles qui nous dirigent par espoir vers un but dont ils ignorent s'il sera aboutissement, début, ou rien de tout cela, peut-être juste un petit battement d'ailes au détour d'une nuit immobile.

Le village est tout en montée ; c'est donc là que Rachel, dans ce joli petit bout de Provence aux maisons enduites de chaux, a choisi de vivre avec son fils ; pas si loin du lieu de leur drame, il y a seize ans. En montant les marches du village perché, Pierre pense qu'il est étrange qu'elle ne se soit pas enfuie plus loin, qu'elle n'ait pas pris soin de placer entre les lieux et leur mémoire, une distance d'amnésie.

"C'est ici" : sur la devanture d'une agence immobilière, nous aurions pu lire : "Maison de village traditionnelle nichée au centre du vieux Ventabren typique, refaite à neuf, sur deux étages surmontés d'une terrasse". Rachel qui avait grandi dans les quartiers nord de Marseille avait donc réussi à se procurer un morceau du rêve, pour son gosse, sans doute. Tout comme lui était devenu propriétaire d'une maison provençale pour laquelle Hélène avait déployé sa fine persuasion dans l'acte d'aquisition. Il ne leur manquait plus qu'une chose : un vrai bonheur ou un parfait désespoir. Ou au moins le risque des deux. Finalement, ils avaient une vie aussi plate que celle décrite dans les prospectus d'agence immobilière : des surfaces vides remplies par des normes, des humains qui les investissent menant tous peu ou prou la même existence répétée, aux objets eux-mêmes dont aucun ne nous étonne, à peu près identiquement sortis des usines, format standard, couleur standard. Les cabinets de curiosité sont les excentricités d'une autre époque, de dandys raffinés épris de beauté et d'histoires rapportées de mondes encore lointains et mal connus ; maintenant toutes nos actions pourraient être contenues dans la plaquette descriptive de n'importe quelle agence immobilière : "Homme de quarante-six ans appelé Pierre ou Jacques ou Jean exerçant profession, deux enfants, maison cubique en Provence, avec femme adultère ou pré-adultère, traînant atonie depuis des mois avec symptômes lourds : perte de voix, perte de foi." Programme d'extension maximale du monde civilisé.

"Rachel Darmon" : il toque doucement : l'enfant dort, il n'a pas oublié la nécessaire discrétion ; on en est à la vingt-deuxième heure des vingt-quatre qui composent cette folle journée. Elle ouvre. Ca y est : la femme dont la présence s'était comme signalée dans les feuillages et la lumière quelques heures plus tôt quand la forêt avait entendu sa voix, se tenait là, dans la pénombre, "le bonsoir" chevrotant, la silhouette reconnaissable entre toutes, une robe noire unie marquant sa taille fine...taille qu'il avait maintes fois pressée entre ses mains quand le désir brûlait ses mains...

Pierre ne cherchait pas à être surpris, ni même retourné par les transformations de son visage, ni même bouleversé par une émotion quelconque ; il ne savait pas non plus ce qu'il avait à lui dire ; il avait simplement éprouvé le besoin de sentir qu'elle existait au sens physique du terme, dans sa composition chimique qui se mêlant si explosivement à la sienne autrefois, avait laissé d'infinitésimales traces dans un précipité de mémoire qui s'accumulant à tous les faits menus ou grands des années écoulées jusqu'à présent, s'était réactivé dans une autre formule ; besoin égoïste de vérifier que son passage dans sa vie pouvait aussi chez elle provoquer cette réaction, qu'elle était en mesure de l'aimer à tout moment, pourvu qu'il se présente à elle et cela alors qu'il avait parlé abusivement de "se faire pardonner" à Benoît pour justifier sa volonté de revoir Rachel. Ces paroles étaient un peu vite sorties de sa bouche, sans les penser vraiment. C'était malgré tout une possibilité ; peut-être à son contact éprouverait-il le besoin de se faire pardonner...

- Rentre.

Elle ne lui fait pas la bise convenue ; rien entre eux n'a jamais été convenu.

Les voilà, dans leur théâtre, au beau milieu d'un salon avec cheminée, des livres partout, des films serrés sur les étagères, des jouets d'enfant ; une table. Elle est là : et maintenant il la voit autant qu'elle le voit : elle est belle ; elle fait partie de ces femmes dont la beauté n'a pas grand chose à voir avec l'âge ou plutôt si, mais pas dans ce processus d'effacement, de pâlissement des traits ; sa beauté, au contraire a quelque chose d'un parfum violent, trop fort peut-être, quelque chose de dur, de fatal ;elle doit avoir quarante ans se souvient Pierre ; elle a vieilli, oui, elle n'avait pas ces ridules au coin de l'oeil, mais elle est belle nom de Dieu ! Oh bien sûr, elle s'est arrangée avant qu'il arrive. Un rouge vif sur les lèvres, les yeux poudrés, les cheveux noirs brillants et bien coiffés qui tombent en torsade sur les épaules. Mais qu'importe ; ce qu'il voit là, c'est qu'il ne cessera jamais de désirer cette femme, ce qu'il voit, c'est la folie de l'avoir quittée, sa folie !

Elle ne dit rien et le regarde timidement, craintivement ; et lui, la bouffe des yeux.

- Tu n'as pas beaucoup changé, lui dit-elle pour rompre le silence...le même bel homme, l'âge te va bien...

Il ne répond rien.

Il sait maintenant pourquoi il est ici : parler ne serait qu'un long évidement de mensonges, d'à peu près, de résumés d'une densité impossible à raconter qu'il affadirait jusqu'à briser l'éclat de lumière que leurs corps ont déposé dans les ombres de leur histoire ; lui qui a perdu la voix peut mesurer à quel point les mots sont à la fois importants ou dérisoires s'ils ne répondent plus à l'injonction de l'univers physique ; il veut reprendre ce qu'il a laissé dans sa peau, sa chair, le mariage de leurs odeurs, de leurs sucs, de leur chaleur ; Rachel, le voit s'avancer sans mot dire, et comme un chat sauvage cherche à reculer pour poser sa main sur le dossier d'une chaise ; une assise : voilà ce qu'elle cherche. Il tend sa main pour atteindre ses cheveux, la dompter, la rendre docile à ses intentions ; elle le regarde sans comprendre avec ses yeux perdus, mon Dieu, ses yeux verts ! Un chat, elle est un petit félin qu'il veut attraper. Parler ? Pourquoi parler ? Il n'est pas venu là pour faire mourir les mots dans des explications impossibles sur plus d'un mois de silence imposé où les mots avaient péri à force de n'avoir rien dit, mais sur seize ans d'absence, de folle absence ! Seize ans sans avoir parlé avec justesse ! Sans que ses mots respirent une vérité qui ne soit autre que théorique, livresque, professionnelle ! Et même avec Hélène qu'il avait aimée, les mots n'avaient pas toujours été sincères même s'il les avait voulus tels, crus tels. Seize ans pour se rapprocher de ses sensations les plus intimes, celles que l'on ne peut tromper ou faire mentir ! La vérité simple de son désir !

"Rachel !

Ses mains caressent ses cheveux ; elle ferme les yeux, elle sait désormais qu'elle n'aurait pas dû le laisser rentrer. Il est trop tard. Les mains fouillent les cheveux, redressent le visage baissé de l'animal apeuré : "Regarde-moi !" ; elle résiste, il caresse les yeux, la nuque, la bouche, ses yeux se désillent doucement ; et cette fois, il l'embrasse ; depuis combien de temps n'avait-il pas embrassé comme ça ? Depuis combien de temps n'avait-il pas éprouvé une presque jouissance au seul contact de lèvres ? Il sent sa petite langue qu'il fouille, cherche, ramène du fond de sa résistance craintive. Elle le laisse faire, les yeux ouverts. Et il retrouve, comme s'il la connaissait mieux que lui même, les courbes, les modelés, la chute des reins, le bas du dos creusé sur lequel il passe sa main ; l'autre veut les seins...Mon Dieu ! Elle se met à gémir ! Oui, exactement comme autrefois, ses petits bruits d'animal ; sa main passe sous la robe, se faufile entre les jambes...Ils s'échouent sur le canapé ; il la déshabille complètement, lui à moitié nu, retire le reste...Son corps ! Son corps si familier et dont il est toujours aussi fou ! Enfin, il la pénètre, elle le regarde intensément et lui, la fixe. 

Voilà.

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