Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
contempo-reine
contempo-reine
Publicité
Archives
Pages
Newsletter
27 décembre 2014

Chapitre V, fin

Une issue sans voix, la suite. Fin de ce chapitre. Mais aussi nous avançons vers une résolution, qui n'en sera peut-être une que d'un point de vue narratif...Merci à tous, excellente lecture.

 

"Ses nouvelles habitudes sont celles d'un lion encagé qui fomente une fuite, l'idée de la fuite, mais les options de l'échappatoire ont beau sembler multiples, aucune ne se dégage toute seule s'imposant comme la prémisse qui entraînera mécaniquement la suite du raisonnement, des deux autres propositions de son syllogisme ; comme si la vie entière revêtait la forme de la programmation informatique, avec des paramétrages distincts et non interférents pour chaque fonction : la fonction sexuelle devant la video porno sur internet, la fonction militante sur twitter, la fonction relationnelle sur facebook. La vie lui apparaissait comme une succession d'écrans où se jouaient simultanément les faits multiples des journées ; un séquençage de plus en plus affiné, où chaque parcelle d'un homme finement concassée, isolée, fragmentée, réduite à la particule la plus élémentaire, ne pourrait plus jamais recomposer l'idée d'une totalité unie : la preuve, il ne parle plus et au lieu de lui couper le sifflet, la maladie ouvre la voie démultipliée de l'écrit dans le virtuel. Les mots, s'écoulant en petites chutes d'eau dans un univers réduit à l'espace matériel, se sont comme déréglés : à la fois agités et proliférants, ils ont grossi les chutes en cataracte, mais pas cataractes convergentes comme les chutes du Niagara. Jaillissant depuis la terre, geysers, depuis les hauteurs, depuis les surfaces, ils brumisent l'air entier, humectent chaque recoin de l'espace le plus sec. Plus le moindre interstice où le silence, en repos du brouhaha, s'insinuera ; même la maladie qui prive de parler retire au silence son Silence, et le silence lui-même n'est plus qu'un mot, une posture entre deux paroles où se feint une dignité peut-être d'une minute, on ne tiendrait pas plus, parodie du vraie silence, celui de quelque moine trappiste retiré à tout jamais du bavardage, silence qui ne devrait même plus être un mot, mais un fait, le rayé du langage que l'on regarde au loin et ramène en soi-même comme une divinité pure, redoutable et réconfortante ; Dieu, lui-même, n'est-il pas celui qui se tait après avoir parlé ? Des siècles de silence ! Des millénaires sans se montrer ! Pierre se demande : aurait-il dû saisir le silence comme le dernier effacement de celui qui ne peut plus rien ou presque pour ce monde, qui n'a plus qu'à s'en retirer, entériner à travers lui la disparition intégrale du monde dont son silence aurait donné la preuve ? Mais qui est capable de cette folle abnégation aujourd'hui ? Pour que du silence advienne la vérité, il faudrait que la parole retrouve son unité primordiale ! Alors, non, le silence n'est plus qu'une maladie technique qui trouvera ses dérivatifs techniques ! Mais comment échapper au cercle clos de la parole anti-parole, du silence anti-silence ? Quelle serait la première des parties qu'il faudrait reconfigurer pour enclencher l'intelligence artificielle, la progression exponentielle, logarithmique ? Mais alors, en mettant le doigt dans un des facteurs épars de sa vie, ne risque-t-il pas de créer le monstre, le Golem qui se tapit au fond de lui, cette créature qui agirait en fonction des logiques rhizomiques s'éloignant progressivement de la racine qui l'a engendrée ? Où ira la force déployée une fois qu'il l'aura initiée ? Doit-il continuer à vivre avec une femme qui d'évidence ne l'aime plus autant et peut-être plus du tout ? Qui dès qu'il s'essaie à l'approcher file comme l'eau entre les doigts ? Fait cette moue en affaissant le charnu de sa lèvre inférieure redoublant le regret de ne pas la tenir ferme entre ses bras? Il ne sait pas qu'Hélène a peut-être déjà basculé dans le regard d'un autre, que ce qu'il voit n'est que le fantôme d'une personne qui s'est incarnée ailleurs, sous la caresse d'un homme qui a un jour laissé ses doigts courir sur sa nuque en la fixant comme s'il allait la tuer : un professeur d'anglais qui avait vécu des années durant à Los Angeles, travaillant comme ingénieur du son dans un studio, père de deux enfants et mari d'une femme américaine qui avait fini par trouver que son mari ne gagnait pas suffisamment d'argent pour payer les études des gosses et en conséquence, le vira en prenant soin de lui vider son compte en banque. Il était revenu en France, défait, écoeuré d'un Nouveau Monde qui lui semblait encore plus vermoulu que l'Ancien. Sans le sou, sans travail, des amis lui avaient conseillé de vite postuler comme professeur. Il s'exécuta et remonta la pente, difficilement. Il jouait divers instruments, parlait anglais avec cet accent américain qui étoffait l'exotisme de la langue étrangère, parlait d'une voix rauque qui agissait immédiatement sur l'épiderme d'Hélène. Elle l'avait entendu la première fois depuis sa salle de classe ; il faisait apprendre l'anglais en chantant « All along the watchtower », les paroles de Bob Dylan sur la musique de Hendrix, et sa voix, sa prestance, l'atmosphère détendue, les élèves qui chantaient, lui parvinrent comme le charme de la sirène sur Ulysse. C'était simple, il n'y avait rien à comprendre, elle n'avait rien à reprocher à Pierre, rien à déplorer, elle était simplement envoûtée comme on peut l'être à tout moment dans une vie alors qu'elle semble s'être arrimée à l'éternité, la permanence du visage du compagnon, des mots, des gestes qu'elle même s'était appliquée à répéter. Ils avaient eu une réunion un soir pour évoquer le sort d'un élève qui se tapait la tête contre les murs en classe à la moindre contrariété. Le professeur d'anglais devait sentir qu'elle frémissait chaque fois qu'il prenait la parole. Il l'avait raccompagnée à sa voiture et elle lui ne cessait de lui sourire. Puis sa main se mit à courir sur sa nuque, son regard plongé dans le sien qui s'arrêta alors de sourire ; et les yeux mi-clos, Hélène sentit le charme de la voix se disperser en délicats effleurements sur la nuque. Un gémissement s'était échappé de sa gorge ; l'homme lui enfonça sa langue et la fit basculer presque allongée sur le capot de la voiture ; elle sentit des mains s'infiltrer partout comme s'il lui en était poussé, comme s'il en avait dix, douze !

C'était donc plus qu'une crise de quadragénaire mal digérée que Pierre aurait pu percer comme un furoncle duquel s’épancherait un pus épais. Mais heureusement, elle n’avait pas perdu le sens de la hiérarchie dans cette situation incongrue et continuait à regarder Pierre avec tout ce qu'elle pouvait d'amour. Elle l'aidait de toutes ses forces et se disait-elle, ne le lâcherait pas, même si son corps criait la tentation du diable comme le loup sur la steppe appelle sa horde. Un fait bouscule l'autre pour se hisser au sommet de son intérêt ; Pierre lui a joué un bon tour ! Voilà une façon inconsciente ou mieux encore, subconsciente de la retenir !

C’est drôle, songea-t-elle un jour, la façon dont notre cerveau est occupé : c’est comme s’il conservait amassé en lui tout un tas de requêtes, qui comme les bandeaux d’information des chaînes continues, défilent et puis une requête s’arrête, elle a réussi pour ce jour à se faire entendre plus que les autres, elle va occuper le devant de la scène de la conscience quelque temps avant de laisser place à autre chose…A part, l’occupation vitale de manger, quelle est l’information prioritaire dans le cerveau ? Même la reproduction n’occupe plus le même espace, on a bien des poussées, des pulsions, de vagues réminiscences d’appartenance à l’espèce des mammifères, mais notre corps tout entier ne passe plus son temps à marcher pour trouver sa pitance, à fixer son désarroi sur la ligne d’horizon, à résoudre par le propre mouvement de son corps tout entier occupé à marcher, ce qui fait sens dans la vie, puisque de toute façon il faut aller prendre ce qui maintient en vie, il faut chercher la chaleur, il faut chercher l’eau, il faut chercher à gagner une minute, une heure, un jour et…maintenant, maintenant qu’il n’y a plus à marcher, qu’est-ce qui fait que nous somme au monde ? Depuis que nous avons perdu le seul trait d’espèce, cette marche qui ne mène nulle part mais qui fut ce pour quoi chaque jour on reprenait la route, on s’est écrasés dans l’indistinction des activités, toutes censées la suppléer. Le reste, la pensée, les affects, la sociabilité…défilent en bandeau, alternativement, comme par un processus physique qui tendrait à remplir l’espace vide ; sauf, que l’activité se joignant au vide, pour le meubler, suppléer à cette marche essentielle, s’accouple mortellement au vide et en est inévitablement absorbée ; le vide gagne du terrain, remplit tout, laisse l’âme et la pensée exsangues jusqu’à l’os. On mange en ouvrant le frigo, on couche avec art et science, on pense jusqu’à ne plus savoir quoi penser, on marche mais il n’y a plus rien à explorer, et pour s’éviter cette tragique conscience de ce qui a été perdue dans la marche, on se distrait, on s’occupe, on oublie, on oublie jusqu’à l’oubli.

Voilà comment Hélène a pris le vertige en regardant en arrière, comment elle a compris ce qui l’a décrochée de ce que pourtant formait un socle stable sous ses pieds. L’ennui, juste l’ennui, le désoeuvrement. Oui, Hélène est intelligente et elle a compris que Pierre la ramène à quai, qu'il s'est tu parce que la parole n'était plus d'aucune utilité face à ses nouveautés émotionnelles qui affluent dans cet esprit et dans ce corps sans qu'elle n'ait rien demandé. Il remplit mais fait mieux que remplir avec sa voix vide, l’air d’un sens nouveau : la lutte pour recouvrer la santé, la lutte pour ne perdre le salaire que Pierre ramène chaque mois, la lutte pour enfin se donner une bonne et vraie raison de s’éviter de penser : quoi faire de ma carcasse maintenant ? Quand un être est coupé de ce monde, il ne lui reste plus qu'à reprendre la marche.

Légalement, Pierre peut rester six mois en arrêt maladie sans voir son salaire diminuer ; après, c’est une autre affaire. Cette question commence à faire son chemin dans sa tête : la survie de sa famille, le remboursement de la maison, le maintien du niveau de consommation qui aujourd’hui s’apparente à une sorte de « droit de l’homme ». Tout ne peut pas reposer sur Hélène, c’est dans son esprit sa prérogative d’homme que de s’y coller.

Combien de jours est-il resté chez lui avant de se décider à mettre son nez dans les anciens lieux où il enseignait, faisait valoir ses droits, fraternisait avec des collègues ? Peut-être trois semaines, un mois. Mais il faut signaler qu’entre temps, il s’est produit quelque chose : il croit, enfin il n’est peut-être pas encore bien sûr, il en a presque la certitude : oui, il a poussé une sorte de son un matin au réveil. Un son comme un pépiement de petit moineau. Hélène était déjà partie au travail. Seul dans la maison, il avait tenté de reproduire la prouesse…mais peine perdue. Voilà, il ne le révéla à personne de peur de créer de fausses joies et peut-être ainsi retient-il Hélène.

L'autre possibilité pour Pierre serait d'imaginer le passage de la parole à l'action radicale, car le syndicalisme, il le sait, n'est plus qu'un foutu organe aux trois quarts nécrosé. Plus rien n'avance et tout recule.

Et enfin, il le sait, il pourrait écrire ; être cet individualiste qu'il n'avait osé devenir par respect pour ses origines modestes

Il partit ce matin-là après avoir accompagné Rébecca à son collège. C’était décidé, il allait saluer ses collègues qu’il avait soigneusement évités depuis le début de ses ennuis. C’était le jour du printemps et malgré l’anniversaire prometteur, il faisait gris. Mais la nature changeait et dans cette partie de Provence, c’était proprement spectaculaire : amandiers en fleurs, verdure abondante, nature bourgeonnante…Splendide, se dit Pierre, splendide se répéta-t-il comme s’étonnant lui-même de pouvoir apprécier pleinement la beauté du paysage. Une beauté écrasée de grisaille comme si la sensation euphorique de la lumière devait encore, par un appel à la raison, se faire attendre avant d’être pleinement reçue : la nature, pensa Pierre, sait ménager le plaisir, le faire désirer et se donner dans un temps qu’on sait fini, et qui recommencera. Le tempo de la nature est idéal, poursuivit Pierre : il y a toujours l’horizon de la renaissance après cette sensation de s’être enfoncé dans une termitière.

Il reproduit des gestes mille fois connus : il gare sa voiture en face du lycée, dans ce grand parking où l’on aurait pu prévoir un peu de verdure pour que les lycéens s’étendent, jouent un air de guitare sous les frondaisons grasses du printemps. Il reconnaît tous les détails du lycée : bâtisse récente conçue par un architecte convaincu de la beauté du béton nu, dans sa plus simple expression, la modernité célébrée pour elle-même sans autre gage d'intérêt. Le béton a été coulé dans un immense « L », en deux rectangles perpendiculaires. Une géométrie moderne, comme si la géométrie était moderne, comme si le rectangle venait de faire l’objet d’une découverte fascinée, comme si le béton lui-même dans son plus simple appareil devait nécessairement nous rappeler une super essentialité des éléments alors que la pierre subit moins de mélange que ce matériau. Mais la grisaille en ce jour où Pierre revient sur les lieux de ses premiers symptômes d’aphonie, est parfaitement compatible avec cet ensemble de sensations dans lequel il s’est enfoui et dont il commence à peine à sortir ; il pressent autre chose aussi : c’est que ce bloc de béton à la face du ciel est à l’image du silence des âmes dans lequel notre modernité nous coule. Modernité qui rêve de transformer les hommes en figures géométriques parfaitement mesurables, identifiables, répondant à des lois connues et prévisibles. Les mettre dans un cube pour les mouler dans l'armature de la rationalité: les amener à devenir de rigides exécutants de l’image globale d’une éducation « managériale » en tordant leurs résistances. Les tordre signifiant en l’occurrence, les faire supporter tout le poids d’une politique qui se désintéresse d’un « secteur » qui ne rapporte pas d’argent immédiatement mais qui en demande beaucoup. Et la logique est simple : on rend les conditions de travail insupportables aux professeurs en les empêchant d’exercer la moindre autorité sur les élèves, on bourre leurs classes, on élève leurs objectifs, on les oblige à rendre des comptes tous azimuts aux parents, aux inspecteurs qui les conditionnent à enseigner avec des instruments technico-pédagogiques inopérants, à l’administration qui passe son temps à occuper le temps des professeurs en les tirant de réunion en réunion en s’imaginant ainsi qu’ils seront motivés, convaincus d’exercer leur profession dans un temps toujours plus long sans jamais voir leur salaire augmenter. On en est là. Ce qui compte, c’est de lessiver les professeurs, de leur mettre la tête au carré comme ces architectures cubiques modernes de béton, de ne rien laisser à l’invention, à la fantaisie, de s’interposer le plus possible entre les professeurs et les élèves. Pierre sait qu’il revient dans un sac de nœuds, un creuset de conflits, dans un lieu qui n’a plus rien à voir avec la fonction qu’il doit remplir. Oui, là aussi, on lutte sec pour le pouvoir, avec l’incurie du décideur qui en décidant croit effacer l’inanité de sa décision ; l’avantage revient toujours à celui qui fermement fend distinctement la brume de l’incertitude, nous amenât-il dans un mur. C’est ainsi que la Proviseur, qui n’était jamais que la pale émanation d’une hiérarchie acéphale, s’escrimait à incarner l’autorité sans le contenu de l’autorité, autant dire qu’elle n’était qu’une parodie en place, mais une parodie méchante, une sorte de petit tyran qui s’il n’était pas emmerdant, serait intégralement comique. Il l’appelait, avec deux autres collègues complices, le bouledogue. Grotesque visage plissé sous le poids satisfait de sa rigidité autorisée. Un petit bout de lard plein de hargne et qui, sous le coup d’une forte contrariété pouvait baver d’une colère dont le ridicule échappait à celui qui en était la cible, tant la décision pris sous le coup de la colère pouvait s’avérer bête, injuste, injustifiée. En elle tout n’était que rigidité. Défaut qui en recouvre un autre beaucoup plus grave : l’absence d’intelligence, de nuance, de sens des situations et des humains, humains qui du prof ou de l’agent de nettoyage n’avaient d’autre alternative que de lui demander son aval pour accomplir telle action ou telle autre. Elle ne réagissait qu’à l’émotionnel faute de pouvoir convoquer des capacités importantes de raisonnement. Pas de hauteur de vue, juste une femme aux ordres, parfaitement endoctrinée au fil des séminaires organisés par les « grandes compétences de l’institution » sur la façon de mener une « équipe », jugée par avance réfractaire ; et quand elle prenait la parole dans une de ces réunions plénières où le « power point », logiciel qui montrait à grand renfort de graphiques qu’elle « maîtrisait » son sujet, face au parterre de professeurs médusés par tant de vacuité intellectuelle, elle croyait avoir vaincu l’armée hostile en bon général, qui de fermeté affirmée passe en revue ses troupes avec cet air d’intransigeance poussant naturellement à lever le bout du nez, tenir lèvres serrées, et écarquiller fixement les prunelles derrière des foyers qui grossissaient légèrement les orbites. Et s’il avait été opportun de brandir deux points fermés en guise de menace, peut-être n’eut-elle pas lésiné sur cette gestuelle plus explicite qui lui eût permis de se faire comprendre directement de cette bande de traînards paresseux et veules que la population professorale incarnait à ses yeux. Bien sûr, Pierre envisageait cette mise en scène comme il se doit : l’œil gauche tablait pour le comique involontaire, l’œil droit, un cran plus lucide, réinterprétait la gesticulation dans son aspect terrible : l’hyper-rationalisation qui pour lui renvoyait à ce que l’humain parvient à faire de meilleur dans le pire. La réussite parfaite de l’anéantissement de la « marge d’erreur », le rêve de rendement sans plus de considération qu’un résultat mesurable, quantifiable selon des critères chiffrés, paramétrés, étrangement nébuleux tout en semblant rigoureux ; oui, c’était bien l’organisation à l’allemande que cette étrange réminiscence formait imprécisément dans son esprit. Des petits capos qui font respecter les théories fumeuses d’état, théories de pédagogues ruineuses de l’esprit humain, ruineuses de la littérature comme approche sensible, esthétique et philosophique, ruineuses du savoir au profit de « compétences » et au détriment des connaissances, ruineuses de l’idée même qu’un enfant n’est pas qu’une bête de compétition, ruineuses de l’autorité qui fait sentir à l’initié le sacré du savoir. Non ce qui comptait, expliquait l’apôtre de l’éducation managériale derrière ses foyers, sa charpente épaisse qu’elle « assumait » d’évidence en osant des décolletés plongeants et vertigineusement vulgaires qui en disaient long sur son inculture esthétique, sur son absence de raffinement qu’un esprit seulement formé aurait pu deviner rien qu’à ces détails, ce qui comptait donc était que les élèves soient en classe pour un coût minimum, que tous leurs problèmes soient contenus entre les murs de ces lieux car si d’aventure les problèmes se mettaient à pointer le bout du nez dehors, ils risqueraient de se traduire en monnaie de sang, de stupéfiants, de désoeuvrement, ils risqueraient de libérer les remords contenus dans ce béton, ils risqueraient de raconter l’abandon des parents, de la société qui les voue au chômage et qui les maintient artificiellement et le plus longtemps possible dans des études pour lesquelles deux tiers d’entre eux n’ont pas le niveau requis, mais qu’importe puisqu’on abaissera les exigences, qu’on donnera l’examen au rabais, qu’on leur apportera la somme d’illusions qu’ils mettront toute une vie à défaire. On les aura blousés jusqu’à la moelle. C’est ça qu’elle voulait la Proviseur du haut de son estrade avec son micro en parodie de vedette américaine, dans sa tenue qu’elle croyait captivante : tout comme le dindon voué à jouer de sa posture et du déploiement de ses plumes pour attirer la femelle et qui ignore à quel point son gloussement est ridicule à l’humain qui l’entend, la Proviseur déployait ce qu’elle pouvait de ses pauvres moyens qui pour pauvres qu’ils fussent, ne manquaient pas de générer trouble et consternation chez les professeurs sommés d’écouter l’intervention. Peu importait ce qu’ils y faisaient ou y apprenaient du moment qu’ils y étaient contenus. « L’administration ne pourra intervenir pour un élève perturbateur que si les faut que vous appreniez à créer le plaisir chez eux pour qu’ils viennent en cours sans hostilité. D’évidence, certains professeurs se braquent à la moindre entorse… » «  Oui, il fallait se plier à ces nouvelles normes selon elle, et tous ceux qui derrière elle « pensaient l’éducation ». Et surtout, comment faire passer la pilule managériale de la culpabilisation de l’employé, qui, tout en en faisant plus a toujours la sensation de n’en faire pas assez. L’esprit de notre époque. Pierre en avait la nausée : il avait à de nombreuses reprises eu à se frotter à cette engeance aussi bête que mesquine sur de nombreux points. D’abord, elle passait son temps à surveiller le personnel pour vérifier s’il était à son poste. L’effet ne tarda pas à se faire sentir : on put observer dans les six mois suivants une recrudescence d’absentéisme, de dépression, de découragement sans nom. Pierre, avec ses collègues avait au cours d’une réunion syndicale, dressé une pétition pour dénoncer le pourrissement des relations

Pierre a l’impression qu’il vient de commettre une erreur en venant ici, en courant le risque de remuer la boue du ressentiment ; trop tard. Il rentre.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité