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22 juillet 2014

"La disparition virtuelle de Régina Basel".

Voici le début de La disparition de Régina Basel : une nouvelle initialement créee pour le blog ; pour lire la suite, suivez ce lien pour commander le livre en version papier : 

 

La disparition virtuelle de R. Basel de Reine Bale sur TheBookEdition.com

Le livre La disparition virtuelle de R. Basel de Reine Bale sur thebookedition.com - créez, éditez et publiez votre livre en ligne

http://www.thebookedition.com


I-Disparue.

 Elle avait bel et bien disparu au sens contemporain du terme. Traduire : elle ne figurait plus sur aucun registre existant du « net », Google, réseau social, adresse mail, discussion sur les forums, blog. La dernière trace qu’elle avait laissée sur son « mur » facebook était on ne peut plus anodine : une photo de chat blanc, type angora, s’étirant langoureusement sur un livre. Son chat ? Ca paraissait peu probable tant elle avait manifesté au cours de son passage sur le réseau peu de goût pour les photos d’animaux et plus réellement, un agacement certain. Sur ce même mur, datant du 12 janvier 2013, soit deux mois avant sa disparition virtuelle, elle avait écrit un « statut » qui signifiait clairement à ses amis « facebookiens » comme elle les appelait, qu’elle ne s’était pas inscrite sur le réseau pour, (je cite) : « (…) découvrir les poses lascives des animaux de compagnie ou m’extasier devant leurs déjections si majestueuses soient-elles, ou bien me renseigner sur telle ou telle marque de croquettes. N’avons-nous pas, frères humains (sic), d’importantes choses à nous dire, nous qui souffrons de mourir un jour, de souffrir sans savoir pourquoi ? ». Oui, elle était parfaitement capable d’étaler ses angoisses, d’exprimer ses doutes existentiels d’une manière presque naïve, et pourrait-on dire, adolescente, mais pas d’exposer des photos de chats et de chiens, selon un sens des priorités qu’elle avait établi depuis longtemps. Alors quitter le monde facebookien avec une photo de chat, pouvait pour le moins paraître surprenant, voire spectaculairement contradictoire. Mais, personne ne s’en émut, ne releva l’ « erreur » parmi les nombreux amis virtuels - six cent vingt quatre- que sa liste comptait. De même, avant son départ, elle se sépara de quelques amis de facebook à qui pourtant elle n’avait rien à reprocher, et qui plus est, avaient le plus d’affinités avec elle. Incompréhensible. Un seul réagit en lui envoyant un petit mot sur sa messagerie : « Vous m’avez rayé de votre liste. C’est dommage mais pas grave. Bonne continuation. ». Avait-elle lu ce message ? Et les autres ? Ils continuaient à nourrir le « fil » de leur actualité et à recevoir des commentaires futiles, affectueux, perplexes, ou rien du tout, ou un petit « like » qui d’un clic indiquait qu’on aimait, ou qu’on appréciait le locuteur…bref, la routine dépassionnée de l’intra-langage du net, routine qui trouverait à remplacer au plus vite ledit ami qui n’est utile qu’en tant que « liker » potentiel, suiveur inconditionnel de leaders charismatiques, likés, surlikés même quand il s’agit de commenter jusqu'à leur plus petite flatulence verbale.

Sur le blog : même topo. Dernier post absolument inhabituel, un lieu commun qu’elle aurait pourfendu comme on rit de toutes ces phrases toutes faites qui circulent partout et qui empestent comme les parfums vendus au supermarché ; elle avait écrit : « Il faut vivre à deux cent pour cent ». Un lecteur habituel aurait évidemment tiqué à ce genre de banalité peu commune sous sa plume. Elle tenait un blog pétri de ses réflexions, de ses citations puisées ça et là chez les grands auteurs, de ses humeurs, de ses commentaires sur l’actualité. C’était une femme d’une quarantaine d’années qui affirmait qu’il fallait à toute force se « déprendre du modèle dangereux du citoyen passif et ignare ». Son blog dessinait la perspective de son ambition en posant un regard acerbe, un verbe acrimonieux sur la « médiocratie » à l’œuvre partout et dans tous les domaines : politique, culture, bêtise ordinaire au travail, sur la route, à la poste…Dans le fond, elle faisait partie de ces citoyens énervés, citoyens qu’on découvre nombreux quand on allume un ordinateur, une radio qui diffuse un « talk-show », citoyens qui se débrident sur des sujets qu’on dit délicats : racisme, violence, peine de mort…

Avait-elle tenu des propos délicats ? Ses  comptes facebook, blog... avaient-ils été piratés ? Que s’était-il passé ? Eh bien, elle avait disparu, un point c’est tout. Peut-être avait-ce été une volonté personnelle, peut-être était-elle partie en vacances pour longtemps, ou était-elle victime d’une maladie grave et -grande dame-, elle n’avait pas voulu s’épancher, ou bien était-elle devenue folle, ou encore, dernière hypothèse, avait-elle vraiment disparu, je veux dire, disparu du monde réel aussi. Comment savoir ? Si quelqu’un avait voulu démontrer que l’existence dans le monde virtuel n’est pas une vraie existence, il n’aurait pu mieux s’y prendre car personne, oui personne n’a cherché à savoir.

Après tout, Régina Basel n’est jamais qu’un microbe supplémentaire venu s’agglutiner et se désagglutiner à la masse délirante des minuscules organismes de la toile. Un de plus, un de moins : je ne vois pas ce qu’il y a de remarquable. A l’heure des comptes, Régina Basel ne pèsera pas lourd dans la balance. Recluse dans sa vie virtuelle, dans un blog que trois personnes par jour en moyenne venaient visiter comme un ermite retiré dans une grotte au fond d’une montagne, elle fut un exemple, d’aucuns diront « un symptôme » de la parfaite solitude du contemporain. Mais Régina se souciait-elle de la fréquentation de son blog ? Qu’espérait-elle de cette vie parallèle ? Etait-il préoccupant de ne plus la voir ?

Un jour, après deux mois de silence, un statut sur « facebook » provenant du compte de Régina fut envoyé. "Je suis morte. Merci pour les condoléances."

Un « ami » perspicace, un certain « Patrick Latour » qui mentionnait dans son profil aimer les ambiances underground et les idées écologiques -un bobo parfait si l’on en croit certaines classifications sociologiques- plaça un commentaire avisé à cet avis de décès : « Très chère, vous avez oublié de nous décrire comment c’est « après » ou là-bas, ou bien ce que ça fait d'être morte. Puisqu’il semble que vous pouvez nous écrire encore, racontez-nous. Ou bien si c’est pour nous dire que Facebook vous déçoit terriblement et que nous sommes d’horribles indifférents, ma pauvre…La mort virtuelle peut être sacrément salutaire, moi je vous le dis. D’ailleurs, je vous conseille de faire la même chose que moi le week-end prochain (si vous voulez me rejoindre) : je vais à Notre-Dame-Des-Landes avec des vrais gens qui se battent pour une vraie cause."

            Patrick Latour reçut quelques « like » bien intentionnés et d’avantageux commentaires sur ces « enflures de politiciens » qui décident d’un « projet de merde », mais Régina Basel, elle ne répondit pas, ne surenchérit à rien. Deux jours après, il y eut, non pas un « statut » (Dieu que ce langage est étrange, un statut, comme si on changeait de nature, de fonction, de grade), mais une photo de Régina, une photo d’elle de profil, allongée dans un linceul blanc, la tête seule dépassant, les yeux ouverts mais inexpressifs, le corps dans le cercueil. Les traits du visage indistincts, s’estompaient dans le flou de la photo.

            Le chat blanc qui précédait cette photo dans le « fil d’actualités », avait quand même plu à quelques zélés de la cause et, pour sa beauté « angora » s’était vu gratifié de trois « j’aime » et d’une remarque « trop beau ». Personne n’avait souligné qu’il s’agissait pour le coup, d’un profond changement de « statut »…

            Régina, cette fois, allait « trop loin », selon les dires d’une internaute, appelée étrangement « Paule Pote ». « Qu’est-ce qui te prend de nous montrer ça ? Tu vas bien ? » Elle la tutoyait bien qu’elles aient échangé en tout et pour tout, trois répliques. Mais ici comme ailleurs, des êtres peuvent devenir des familiers très rapidement alors que d’autres, et quels que soient nos efforts pour nous rapprocher d’eux, demeurent irréductiblement éloignés. Paule Pote était « sympa » et tenait à le faire sentir ; c’est l’image synthétique qu’elle voulait donner d’elle. Femme agréable, accessible, ouverte, émettant des icônes de cœur à tout-va, elle bénéficiait d’une certaine aura sur le réseau. Si elle émettait une photo de son patelin sous la neige, des commentaires aussitôt affluaient et si elle disait quelque chose comme « Quand je suis dans ma cuisine, je retrouve le bonheur », alors là, vous pouviez être sûr qu’une flopée de facebookiens se ruaient pour déposer leur recette préférée et qu’une expression comme « recette du bonheur » trouverait immanquablement sa place au milieu des dosages de farine et de sucre : cette prévisibilité dans les mots doit faire partie des manières dont les hommes usent pour se rassurer au milieu de l’inconnu. Des sortes de ponctuation convenues du langage comme il sied de dire « amen » à la fin d’une prière, et qu’importe l’effectivité du mot du moment qu’il nous fait communier. Le lieu commun, le lieu de tous les communiants d’une certaine médiocrité indissociable de la modernité, tout comme un bâtiment d’hypermarché finit toujours par surgir à l’horizon d’une ville : il faut bien du discount pour les bourses vides et des mots pour ceux qui n’ont rien à dire…

Mais voilà qui aurait dû ébranler nos contemporains, du moins les faire changer de crèmerie : l’enseigne des mots usés, ils avaient enfin de quoi la renouveler pour une fois, car Régina était bel et bien sur la photo, avec l’air d’une morte, mais d’une morte aux yeux ouverts, une morte qui aurait voulu se voir mourir en somme, qui n’aurait pas voulu perdre une seconde de son passage dans l’autre monde. Paule Pote en était médusée, faussement bien sûr. On ne peut pas dans une vie, en plus de sa propre vie qui est devenue pour chacun d’entre nous une sorte de dossier à multiples tiroirs, s’occuper des morts virtuels ou des morts réels qui apparaissent virtuellement qu’on n’a connus que sous la forme virtuelle. La présence virtuelle n’est jamais qu’une présence par procuration du corps réel, ce qui constitue « un dossier à part ».

           

 



 

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