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21 décembre 2012

Reine Bale vous propose un peu de grignotage.

Régime, austérité, cures, purifications, flagellations, pénitence seront remis à plus tard. A la place, je propose quelques gourmandises aux convives de passage ici pour surmonter les temps difficiles : extraits purs de roman, essences de nouvelles, fragrances de lettres, caviar de réflexions... en panier garni. Pendant quelques semaines, j'offrirai des extraits de tout ce qui a été crée et fait sur ce blog, histoire (j'espère) de reprendre de l'appétit et de la gaillardise pour la suite. Je dédie ces textes à tous les esprits généreux et riches qui d'un mot, d'un signe, me soutiennent et me suivent depuis longtemps déjà...et aux autres, bienvenue ! Pour commencer, un extrait de Une moitié d'homme, roman paru en 2011 sur le blog. Ici, l'incipit :

                      

I -Les morceaux                                                                                                

 

C’est comme ça que tout a commencé. Je voulais écrire depuis longtemps, mais la vie –vous voyez ce que je veux dire par la vie : la famille, le boulot et tutti quanti- m’avaient enferré dans une sorte de veulerie, d’inertie créative. Les jours succédaient aux jours et continuant à trouver refuge dans une routine de mots, je renvoyais à demain ce qui pouvait commencer aujourd’hui : « ton tour viendra ; un de ces quatre matins, tu rassembleras le courage et la force nécessaires pour réaliser l’artiste qui germe en toi et qui n’attend qu’à se révéler ». Des années passèrent à fredonner la même rengaine, et la réalité à s’entêter contre moi. La réalité ? Mon impuissance ? Des deux fardeaux que ma conscience entrevoyait, je ne saurais dire lequel tenait le meilleur morceau. A la fin, lassé de résolutions jamais tenues, je m’en suis tout bonnement remis au rôle dont j’avais accepté la charge : un salarié, père de famille et accessoirement amant de ma femme.

Douze ans après la fin de mes études, l’écrivain qui avait habité les fantasmes de mes jeunes années était mort sans avoir vu le jour. Ca commençait à sentir le rance dans ma tête, et pour être honnête, je ne savais même plus à quoi ressemblait un vrai désir. En fait d’homme, un pilote automatique accomplissant les choses comme il fallait les accomplir, comme on attendait que je les accomplisse, mais rien qui émanait de ma propre volonté. Un grand classique du moment, moment qui ne cesse de s’étirer depuis la découverte de l’influence du milieu sur l’homme à l’ère industrielle. Du Zola, le tragique de la misère en moins. Et pour couronner le tout, le sentiment d’avoir tout échoué si l’on n’a pas réussi à être connu ou du moins célébré, ne serait-ce qu’une semaine dans sa misérable vie.

C’est curieux, mais il me semble que plus l’individualisme s’affirme, plus le poids de la société grandit. Vrai paradoxe ou simple facilité pour expliquer mon problème.

 Et société ou pas société, réalité ou pas réalité, il y a des limites qu’on ne peut pas discuter : qu’on ait été libre ou prisonnier, bourgeois ou clochard, malade ou en pleine santé, la vie est de toute façon mortelle. La formule est facile mais démange ma tendance lourde à regarder la vie dans ce qu’elle comporte de pire. Ce long et irréversible chemin vers la mort…le genre de petite formule à l’emporte-pièce qui provoque infailliblement son petit frisson.  On peut voir les choses sous un angle moins tragique si l’on considère que toutes les tracasseries mourront un jour de vieillesse. Vu comme ça, c’est beaucoup plus supportable. En faisant un effort supplémentaire, je parviens instantanément à  me figurer mon ennemi (de chair ou de pensée) comme une carcasse rongée par les vers rendant ses derniers hommages ; le spectacle inspiré d’un fameux poème de Baudelaire me fait mille fois remercier la vermine pour son travail de vengeance posthume. Ca me fait jouir et je ne rate jamais une occasion de jouir : il s’en présente si rarement ! Un accès de méchanceté inoffensive nous économise le choc de vérités plus brutales. Un autre auteur –peut-être Saul Bellow- disait qu’il liquidait violemment au moins une personne chaque jour, en pensée bien sûr, et que ce meurtre imaginaire rituellement accompli lui évitait le passage à l’acte. J’essaie de m’appliquer cette mesure d’hygiène mentale quotidiennement. Dans une boîte qui compte environ soixante-dix employés, on trouve toujours quelqu’un contre qui s’énerver. Comme je suis le conseiller en communication de ma société « Techno-one » chargée de concevoir des produis technologiques, je dois bien connaître le travail de chaque employé. Forcément, y’en a dont la tête me revient pas.

 Par exemple, aujourd’hui j’ai achevé Cécile, ma secrétaire chargée de saisir mes dossiers et qui depuis sa rencontre avec « le nouvel homme de sa vie », après faut-il le préciser, un long et pénible divorce avec l’ancien « homme de sa vie », s’absente environ un jour sur deux avec des justifications qui tiennent plus ou moins la route. Un jour, c’est la batterie de la voiture qu’il faut changer, un autre, c’est sa mère qu’il faut amener à l’hôpital, puis encore son psoriasis qui l’immobilise…La gamme est assez étendue, mais la vraie raison, c’est qu’elle sort jusqu’à pas d’heure, qu’elle passe des nuits torrides avec son jules et qu’elle ne peut plus se lever le matin. Au départ, je me réjouissais pour elle : c’est que Cécile a quarante-cinq ans, que son mari l’a lâchée à quarante-trois pour une nana qui en a dix-huit. Elle a du temps à rattraper, la Cécile. Mais putain ! Elle peut pas lever son cul le matin ! Mes dossiers qui traînent sur son bureau, le travail qui s’accumule : tout ce qu’elle ne fait plus, je dois me le farcir. Alors, quand je ne l’ai pas vue rappliquer ce matin, je l’ai abattue. Mais pas de manière brutale ! Non ! D’abord, je me suis rendu chez elle, je l’ai levée du plumard où elle s’ébattait à poil avec son lascar. Je les ai foutus à genoux tous les deux, avec un couteau sous sa gorge à elle et puis j’ai déblatéré :

« Tu vois ta gonzesse, je vais lui faire lui sauter sa cervelle, comme ça si tu veux la baiser, elle n’aura plus besoin d’inventer des prétextes à la mords-moi-le-nœud ! T’auras qu’à ouvrir son cercueil, lui écarter les jambes et la fourrer jour et nuit si t’en as envie ! ». Ensuite sous mon imper, j’ai sorti le 22 long riffle et hop, malgré les appels à la clémence, j’ai tiré, sans état d’âme. La cervelle de Cécile a giclé sur le zob de son mec et dans un rire atroce, je me suis cassé. A la morgue, Cécile ! La petite grosse d’un mètre cinquante neuf, blonde décolorée ! Je ne sais pas comment ton ex a pu te laisser en vie ! Depuis neuf heures ce matin, t’es morte dans mon esprit.

Avec le politiquement correct, il ne faut pas se laisser aller à dire n’importe quoi ni à exprimer le moindre ressentiment. Le pire, c’est l’ironie : si vous en usez, même avec parcimonie, on vous catalogue comme le salaud de service. Quand je suis rentré dans l’entreprise, je ne connaissais pas tous ces codes de langage ; je pensais que je pouvais plaisanter un peu, mais c’était très mal jugé. Frank, le responsable des relations humaines me fit vite comprendre les tournures d’esprit qu’on acceptait et celles qu’on refusait après que quelques employés sont venus se plaindre de moi et de mon sens aigu de la dérision.

Il était dans son bureau, très à l’aise, les cheveux bien gominés et ramenés en arrière ; il m’avait convoqué et comme ça ne faisait que quinze jours que j’avais été embauché, je tremblais comme une feuille.. J’avais besoin de ce boulot.

«Détends-toi ! m’ordonna-t-il. Je fis ce que je pus pour paraître le moins pitoyable possible. Tu sais, poursuivit-il, on est satisfait de ton travail. Mais c’est de tes relations avec certaines personnes dont j’aimerais te parler. 

- J’ai froissé des collègues ?

- Pas exactement ; c’est qu’en fait, ils sentent bien que tu maîtrises le langage, les idées, que t’as de la culture… Et parfois, ça les rabaisse quand tu ironises un peu…Je dis pas que c’est intentionnel, mais bon… un rire ironique, incisif représente un danger pour les personnes qui en sont la cible, et qui ne comprennent ni l’antiphrase ni tout ce qui appartient au second degré. Elles peuvent alors se sentir désarmées et dévalorisées. Et puis je vais te citer un dicton espagnol que ma grand-mère me ressortait quand j’étais môme -tu sais comment sont les mômes avec leur tendance à tout dénigrer - : « Le plaisir pris sur la souffrance des autres, c’est la consolation des imbéciles. » Evidemment, je me sentis minable car l’imbécile ici, c’était moi. Le responsable des relations humaines avait su me remettre à ma place vite fait, bien fait : un petit jeune plein d’esprit doit savoir fermer sa gueule. C’était ma première leçon de vie en entreprise.

C’est là que je suis devenu un assassin dans la tête : un meurtre par jour pour tenir le coup.

Quid de l’ironie ensuite ?  Il n’y eut plus de récidive. Et plus encore, je fis tout pour « dédommager » mes victimes en les considérant mieux que ce qu’elles valaient (d’après mes estimations). Bien sûr, j’évitais soigneusement la fréquentation de mes anciennes camarades-les mauvaises pensées- quoique spirituelles, acides et fort alléchantes par un refoulement systématique des meilleurs tours que mon esprit laissait furtivement entrevoir. Raboté, limé, poli et policé, le jeune homme imprudent et inexpérimenté qui avait passé sa jeunesse à vénérer les écrivains pour l’odeur de soufre qu’ils répandaient autour d’eux,  pouvait enfin paraître aux yeux du monde tel que Dieu avait dû le configurer avant le péché originel. Du moins en apparence car il ne s’agissait que de feindre une générosité d’âme que l’hypocrisie sociale ou la diplomatie exigeait. Le résultat fut, je dois l’avouer, spectaculaire. Aucun de mes collègues n’aurait pu se douter la somme de mauvais instincts qui continuaient à circuler dans les plus fines ramifications de mes terminaisons nerveuses. Non content d’obtenir à mon travail tout ce que je voulais de cette manière, je calquais dans le privé cette mimique du très-fréquentable, ne s’emportant que pour de bonnes raisons, s’essayant à un « dialogue constructif » et tout le blablabla. Pas de place pour la misogynie, la misanthropie, l’asociabilité, le fornication priapique, la bougonnerie, le caprice…Non, consensus mou, amour du prochain tout connard qu’il soit, humanisme gentillet, bienveillance affichée, la grande classe quoi. La bassesse, l’envie de conchier l’humanité à commencer par mon patron et ses employés, je la gardais pour le soir quand tout le monde dormait. Et là, je m’en donnais à cœur joie. On pouvait, à être attentif, entendre un bon rire sardonique qui déchirait la nuit : c’était moi, hurlant à tous les diables.

 

 

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